Vivendi : l’anti-stratégie de Vincent Bolloré est-elle durable ?

Vincent Bolloré était auditionné devant le Sénat le 19 janvier 2022. , @CCO

BUSINESS CASE

Vivendi : l’anti-stratégie de Vincent Bolloré est-elle durable ?

Par  Novethic, Anne-Catherine HUSSON-TRAORE | Publié le 20/01/2022

L’audition de Vincent Bolloré devant la Commission d’enquête du Senat sur la concentration des médias a laissé sans voix. Il a longuement expliqué qu’il était un conseiller de l’ombre dépourvu de tout pouvoir, mis en avant son absence de stratégie expliquant qu’il avait choisi les médias et la communication parce que c’est un secteur où on gagne de l’argent. S’il compare Vivendi à Netflix et Amazon, il n’a pas expliqué en quoi. Étrange positionnement pour Vivendi, une des valeurs du CAC40 ESG, supposée à ce titre avoir une stratégie durable crédible.

Vincent Bolloré, l’homme qui pilote non officiellement Vivendi, Canal Plus, Europe 1, le Journal du Dimanche, le groupe Prisma et autres, a joué un rôle singulier devant la Commission sénatoriale d’enquête sur la concentration des médias qui l’auditionnait sous serment le 19 janvier : celui du futur retraité qui regarde de loin ses activités de communication et médias. Il a ainsi déclaré : "Je ne suis plus dirigeant mais simple conseiller. Je vais passer la main le 17 février prochain pour mes 70 ans. Je n’ai aucun titre ni pouvoir à la tête de toutes les entreprises pour lesquelles j’ai choisi des "garçons" de talent. Ce sont eux qui décident."

Le plus étonnant reste sans doute sa présentation de Vivendi avec des visuels qu’il semblait avoir préparé lui-même en faisant ses premiers pas sur Powerpoint alors que le groupe possède Havas, l’une des plus grosses agences de communication mondiale. Premier argument : Vivendi avec ses 15 milliards de capitalisation est un nain face à ses concurrents.


Deuxième argument, Vivendi est l’atout du "soft power" français. Sa mission est de diffuser la culture française à l’international. Vincent Bolloré n’a mentionné que deux artistes pour illustrer sa conquête de la culture mondiale : la chanteuse belge Angèle et le comédien Alex Lutz. Même stratégie de minimisation quand les questions ont concerné CNews, la chaîne toute info.

 

Sur le plan de la RSE, la première responsabilité d’un groupe de communication et des médias porte sur les contenus qu’il diffuse. Interrogé sur la ligne éditoriale de CNews, Vincent Bolloré qui se décrit comme un bouc émissaire, a nié l’avoir transformée en chaîne d’opinion et a affirmé que si les journalistes d’I-Télé (qui a précédé CNews) étaient partis, il les avait remplacés sans problème par "130 cartes de presse".

Interrogé sur le soutien apporté par la chaîne à Éric Zemmour, propulsé à l’antenne une heure par jour en septembre 2019, il a nié toute implication. "Je ne suis pour rien dans cette nomination. J’ai déjeuné une fois avec lui. Je le connais à peine", assure-t-il aux sénateurs. Peu importe que le candidat d’extrême droite affirme dans son livre qu’ils déjeunent une fois par semaine ensemble et s’accordent sur beaucoup de sujets. Même attitude pour Europe 1, la radio du groupe Lagardère dont Vivendi détient, depuis le 31 décembre, plus de 45 % du capital. Vincent Bolloré a affirmé qu’Arnaud Lagardère continuait à diriger son groupe alors qu’en décembre ce dernier affirmait que c’était Vincent Bolloré le nouvel homme fort du groupe.

Membre du CAC40 ESG

Et l’ESG dans tout cela, puisque Vivendi est l’une des valeurs sélectionnées dans l’indice CAC40 ESG ?  Sur le G de Gouvernance, Vincent Bolloré a expliqué que sa famille avait eu la gentillesse de prendre sa suite et qu’elle travaillait main dans la main avec les "garçons" qu’il avait choisis pour être à la tête de Vivendi, Canal Plus ou CNews. Personne ne lui a fait remarquer que ce mode de nomination n’est pas conforme aux standards de gouvernance d’une entreprise cotée qui n’est pas supposée fonctionner comme un groupe familial. 

Pour le S de Social, l’indicateur ESG mis en avant par le groupe sur son site Internet est que 51 % des salariés du groupe sont des femmes. Peu importe que son directoire soit exclusivement masculin ! Enfin côté E pour Environnement, Vivendi affirme que 16 % de l’électricité utilisée dans le groupe viennent d’énergies renouvelables. Peu importe que les grandes compagnies américaines dont Apple qu’il désigne comme ses concurrents, soient engagés dans des stratégies d’approvisionnement 100 % renouvelables ! En revanche côté engagement, Vivendi coche toutes les cases. Il les a placés sous la bannière des ODD : neutralité carbone pour le E, rendre la culture et l’éducation accessible à tous pour le S et promouvoir un monde plus inclusif pour le G.

L’audition de Vincent Bolloré devant le Senat visait à désamorcer les attaques contre la menace qu’il représente pour la liberté de la presse. Elle est à risque. S’obstinant à vouloir montrer qu’il n’avait pas de cap et qu’il était injustement accusé, il n’a utilisé aucun des arguments de création de valeur durable que les dirigeants d’entreprise cotée doivent dérouler aujourd’hui face aux investisseurs. Il considère sans doute que le sujet est à risque puisqu’il a confié, en juillet 2020, la RSE à la directrice juridique de Vivendi !■


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