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L'ACTU
AG 2023 : Découvrez notre tableau exclusif des résolutions climatiques, secteur par secteur
"C’est la première année où il y a eu autant d’imprévus pendant les assemblées générales", lance Bénédicte Hautefort, fondatrice et co-dirigeante de Scalens, une fintech de relations entre émetteurs et investisseurs. Manifestations d’ONG de défense du climat devant l’AG de TotalEnergies, interruption de séance pour celle d’ING aux Pays-Bas, prises de parole des actionnaires sur le climat désapprouvées par des personnes dans la salle à celle de BNP Paribas… La question de la stratégie climatique des entreprises s’est largement invitée pendant les grand-messes des actionnaires, aussi bien en Europe qu’aux États-Unis.
En moyenne, une demi-heure de temps de parole a été consacrée au sujet climatique, qui a représenté 20% de la durée des AG et 29% du nombre de questions posées, contre seulement 18% l’année dernière, selon Scalens. Aux États-Unis, le temps de parole était un peu moins long. "Beaucoup de sujets peuvent faire l’objet de résolutions d’actionnaires et être soumis au vote, explique Bénédicte Hautefort. La SEC (autorité américaine des marchés, ndr) filtre les résolutions et, depuis deux ans, elle les laisse passer."
Un choc de culture
Les résolutions actionnariales dissidentes, contre lesquelles le management recommande quasi systématiquement de voter contre, sont bien plus développées aux États-Unis. Sur les 35 résolutions climatiques sélectionnées par Novethic Essentiel dans le tableau ci-dessous, 26 ont été déposées par des investisseurs, dont 20 aux États-Unis. Le secteur de l’énergie concentre, sans surprise, une grande partie de ces résolutions. En France, les deux résolutions externes de cette année ont ainsi concerné TotalEnergies et Engie. Aux États-Unis, ExxonMobil et Chevron en comptent cinq à eux deux !
En tout, Scalens recense 120 résolutions actionnariales dans le monde, dont 33% concernaient le climat. Aucune d’entre elles n’a été adoptée, mais on assiste en Europe à une sérieuse remontée des votes favorables. Elles ont recueilli en moyenne 24% de votes pour pour cette année, contre 4% pour celles de 2022. Les actionnaires de TotalEnergies ont ainsi approuvé à 30,44% la résolution portée par Follow This et une coalition de 17 investisseurs européens. Aux États-Unis, en revanche, ces résolutions externes réalisent le chemin inverse. Selon Scalens, le vote favorable moyen n’est que de 4%, contre 28% en 2022. Le temps ou l’actionnaire activiste Engine n°1 parvenait à faire élire trois administrateurs pour porter le climat au conseil d’ExxonMobil semble bien loin !
SECTEUR | ENTREPRISE | RÉSOLUTION | AUTEUR | VOTES POUR | VOTES CONTRE |
ÉNERGIE | ExxonMobil (États-Unis) | Rédiger un rapport sur les émissions de méthane | Sisters of St. Francis Dubuque Charitable Trust (Fondation) | 36,4% | 63,6% |
ÉNERGIE | ExxonMobil (États-Unis) | Établir des objectifs de réduction des émissions de scope 3 | Follow This (Collectif d'actionnaires) | 10,5% | 89,5% |
ÉNERGIE | ExxonMobil (États-Unis) | Établir un rapport sur la transition juste liée au climat | United Steelworkers (syndicat) | 16,6% | 83,4% |
ÉNERGIE | Chevron (États-Unis) | Fixer un objectif à moyen terme de réduction des émissions de scope 3 aligné sur l'Accord de Paris | Follow This | 9,6% | 90,4% |
ÉNERGIE | Chevron (États-Unis) | Clarifier les informations sur la baisse des émissions depuis 2016 | As You Sow | 18,3% | 81,7% |
ÉNERGIE | TotalEnergies (France) | Say on climate | Management | 88,76% | 11,24% |
ÉNERGIE | TotalEnergies (France) | Résolution d’actionnaires sur les objectifs en matière d’émissions indirectes de scope 3 (vote consultatif) | Follow This et une coalition de 17 investisseurs | 30,44% | 69,56% |
ÉNERGIE | Shell (Royaume-Uni) | Say on climate | Management | 80,01% | 19,99% |
ÉNERGIE | Shell (Royaume-Uni) | Aligner ses objectifs de réduction en 2030 de scope 3 à l'Accord de Paris | Follow This | 20,19% | 79,81% |
ÉNERGIE | BP (Royaume-Uni) | Résolution d’actionnaires sur les objectifs en matière d’émissions indirectes de scope 3 | Follow This | 16,75% | 83,25% |
ÉNERGIE | Engie (France) | Modification des articles 21 et 24 des Statuts sur la stratégie climat | Coalition de 16 investisseurs | 24,38% | 75,62% |
MINES | Glencore (Royaume-Uni, Suisse) | Plan d'alignement de la production de charbon thermique avec les objectifs de réduction d'émissions | ShareAction (ONG) et coalition d'investisseurs | 29,2% | 70,8% |
On assiste à un vrai choc de culture entre l’Europe, où les actionnaires sont de plus en plus nombreux à prendre conscience de la nécessaire transition des entreprises, et les États-Unis, où le climat fait l’effet d’un épouvantail. Dans les majors pétrolières, les résolutions demandant à l’entreprise de communiquer sur ses objectifs de réduction de gaz à effet de serre pour leur scope 3 ont obtenu à peine 10% des votes : 10,50% chez ExxonMobil et 9,6% chez Chevron. La même résolution a obtenu le double des voix chez Shell, le triple chez Total. "Le poids des recommandations des agences de conseil en vote joue beaucoup, estime Mickaël Herskovich, global head of stewardship chez BNP Paribas AM. Cela se voit même en Europe entre deux pétroliers comme Shell et TotalEnergies. Il y a eu un score plus élevé de dix points chez TotalEnergies du fait de la recommandation d’ISS".
Un autre facteur joue également aux États-Unis. "On commence à voir des résolutions "anti-ESG" aux États-Unis, même si elles ont encore des scores très faibles", reprend le responsable de l’engagement actionnarial de BNP Paribas AM. La guerre menée par les élus républicains contre le "wokisme" se répercute dans les assemblées générales. Chez Chevron, un actionnaire a soumis au vote une résolution demandant que la major renonce à ses objectifs de réduction de ses émissions de scope 3, arguant qu’ils sont "incompatibles avec le devoir fiduciaire de Chevron d’opérer ses activités dans le meilleur intérêt financier des actionnaires". Steven Milloy, l’auteur de la résolution, est éditorialiste sur la chaîne de télévision conservatrice Fox News et a assorti le texte de sa résolution de commentaires climatosceptiques. Si la résolution n’a obtenu que 1,3% de votes favorables, elle dénote néanmoins de l’ambiance dans laquelle se déroule ces AG.
Carrefour se positionne sur le scope 3
Les entreprises de l’énergie ne sont pas les seules à être questionnées par leurs actionnaires sur leurs objectifs climatiques. Les banques et investisseurs ont tous été interpellés sur les financements octroyés aux énergies fossiles. "La question qui leur est posée en général est comment concilier leur scope 3 avec les objectifs de l’Accord de Paris", souligne Bénédicte Hautefort. De quoi susciter des débats houleux dans les AG en Europe, la banque néerlandaise ING ayant même dû lever la séance après cinq interruptions par des activistes. Aux États-Unis, les grandes banques comme JPMorgan Chase, Bank of America ou Citigroup ont dû inscrire des résolutions actionnariales sur le sujet, toutes ayant été rejetées.
SECTEUR | ENTREPRISE | RÉSOLUTION | AUTEUR | VOTES POUR | VOTES CONTRE |
CONSOMMATION, TECH | Amazon (États-Unis) | Rapport sur la manière dont le fonds de pension de l'entreprise protège les bénéficiaires du risque climatique | As You Sow | 7,2% | 92,8% |
CONSOMMATION | Carrefour (France) | Avis sur la quantification des différents leviers d'action de la société sur le scope 3 | Management | 93,34% | 6,66% |
MÉDIA | Netflix (États-Unis) | Rapport sur la manière dont le fonds de pension de l'entreprise protège les bénéficiaires du risque climatique | As You Sow | 8,8% | 91,2% |
Chez Carrefour, une dizaine d’investisseurs menés par Phitrust ont ainsi poussé la direction du groupe à préciser son plan de réduction de gaz à effet de serre. En 2022, le say on climate soumis par le management ne portait en effet que sur les emissions des scopes 1 et 2 de l’entreprise. Il avait été adopté à 87%, mais des sociétés de gestion comme Sycomore AM avaient voté contre, déçues par la faible portée des ambitions du groupe qui ne tenaient pas compte du scope 3 représentant 98% de ses émissions. Cette année, Phitrust et les actionnaires représentant 1,1% du capital ont demandé d’inscrire ce thème à l’ordre du jour, pour que la société clarifie la prise en compte du scope 3. La demande a été acceptée, mais Carrefour a également décidé en réaction de soumettre au vote sa propre résolution concernant le Scope 3. La stratégie du groupe a fonctionné, sa résolution a obtenu cette année 93,34% de votes favorables.
SECTEUR | ENTREPRISE | RÉSOLUTION | AUTEUR | VOTES POUR | VOTES CONTRE |
AUTOMOBILE | Toyota (Japon) | Etablir un rapport sur les activités de lobbying liées au climat | Akademiker Pension, Storebrand AM, APG AM (sociétés de gestion) | 15,06% | 84,94% |
AÉRONAUTIQUE | Lockheed Martin (États-Unis) | Publier un rapport sur les objectifs de réduction d'émissions sur la chaîne de valeur | As You Sow | 35,4% | 64,6% |
En Allemagne, les actionnaires responsables ont été moins bien accueillis chez Volkswagen. Le constructeur automobile a bloqué une résolution portée par plusieurs investisseurs menés par l’Église d’Angleterre, lui demandant un rapport sur ses activités de lobbying climatique. Volkswagen est en effet l’un des seuls constructeurs automobiles à ne pas être transparent sur ce point. Les investisseurs n’ont pas eu plus de chance en justice, la Cour régionale de Braunschweig ayant donné raison à l’entreprise…
L’Église d’Angleterre, pour marquer sa désapprobation, a incité les membres de la coalition Climate Action 100+ à voter contre les résolutions approuvant les actions du management et du conseil d’administration. Sans succès, les votes favorables l’ayant largement remporté à 99% en général.
Le Say on climate cantonné à quelques marchés
Les entreprises sont par ailleurs moins enclines à faire voter leur stratégie climatique. En France, on dénombre 8 résolutions "say on climate", contre 11 l’année précédente. BNP Paribas AM en compte 18 dans le monde à juin 2023, contre 40 en 2022. Des entreprises choisissent en effet de ne soumettre leur politique au vote que tous les trois ans, tel quel le recommande le code Afep-Medef mis à jour en décembre 2022. La pratique reste surtout cantonnée à quelques marchés. "Le say on climate s’est principalement développé en France et au Royaume-Uni. On n’en voit aucun en Allemagne ou aux Pays-Bas, par exemple", remarque Michaël Herskovich. En France, les foncières cotées, mais aussi des industriels comme Schneider Electric et Vallourec, ont ainsi toutes soumis au vote leur politique climatique, avec des scores largement favorables autour de 95%.
SECTEUR | ENTREPRISE | RÉSOLUTION | AUTEUR | VOTES POUR | VOTES CONTRE |
IMMOBILIER | Altaréa (France) | Say on climate | Management | 96,68% | 3,32% |
IMMOBILIER | Covivio (France) | Say on climate | Management | 94,19% | 5,81% |
IMMOBILIER | Icade (France) | Say on climate and biodiversity | Management | 98,33% | 1,67% |
IMMOBILIER | Klépierre (France) | Say on climate | Management | 95,21% | 4,79% |
SECTEUR | ENTREPRISE | RÉSOLUTION | AUTEUR | VOTES POUR | VOTES CONTRE |
INDUSTRIE | Schneider Electric (France) | Say on climate | Management | 97,67% | 2,33% |
INDUSTRIE | Vallourec (France) | Say on climate | Management | 94,15% | 5,85% |
Le Forum pour l'investissement responsable (FIR) a calculé que les Say on climate français proposés par le management ont obtenu en moyenne 93,3% d'approbation, contre 89,2% au niveau mondial. Les analyses du FIR et de l'Ademe sur les Say on climate français sont pourtant contrastées... Les résolutions managériales obtiennent un score d'alignement de 51% aux recommandations du FIR, mieux qu'en 2022 (49% d'alignement), mais avec une bonne marge d'amélioration. Pareil pour le score porté avec la méthodologie d'évaluation ACT de l'Ademe, la note dépassant à peine la moyenne (11/20). ■
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