Avec Valéry Lucas-Leclin disparaît un chercheur précieux pour la finance durable

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L'ACTU

Avec Valéry Lucas-Leclin disparaît un chercheur précieux pour la finance durable

Par  Anne-Catherine Husson-Traore | Publié le 08/06/2023

Pionnier de l'investissement responsable, en quête de la pierre philosophale permettant d'intégrer l'analyse ESG à la gestion financière quantitative, esprit remarquable doté d'un humour caustique hors pair, Valéry Lucas-Leclin était tout cela et beaucoup plus. Emporté trop tôt par la maladie, il laisse un grand vide dans le monde de l'investissement responsable où il comptait de nombreux et vrais amis.

Valery Lucas-Leclin avait 53 ans et il a participé à toutes les grandes aventures de la finance durable qui rassemblait une poignée de pionniers il y a 20 ans. Mais il était d’abord et avant tout un analyste proposant un "regard décalé et hiérarchisé sur la réalité". Il le définissait ainsi : "il s'agit d'utiliser au maximum les données existantes pour retraiter une information et identifier, par la technique d'analyse, les questions qui renvoient à l'analyse financière et les questions qui relèvent de choix politiques". Il ajoutait : "il n'y a pas de mot magique (impact, intégration, net zero) qui résout tous les problèmes, mais plutôt une patiente construction collective de schémas d'analyse des performances de long terme, à partir des impulsions règlementaires et une non moins patiente formation des équipes de gestion financière pour concevoir avec courage et gérer avec conviction les fonds durables ou responsables". 

Il savait de quoi il parlait puisqu’il avait commencé cette patiente construction de l’analyse ESG au sein d’Arese la première agence de notation des entreprises sur des critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) fondée par Geneviève Ferone, où il a fait ses armes d’analyste ISR, de 1998 à 2002. L’œil toujours ironique et l’esprit en alerte, il a ensuite eu sa période broker. Pendant une dizaine d’années, il est passé par CM CIC Securities, Société Générale puis Merrill Lynch. En 2015, il lance sa propre entreprise dédiée à des analyses ESG complexes et quantitatives. Trois ans plus tard, il participe à l’aventure Beyond Ratings, première agence de notation financière ESG rachetée par le London Stock Exchange, pour finir par rejoindre, en 2021, le spécialiste des indices Wilshire. 

"La recherche du Graal de la finance durable"

Stéphane Voisin, conseiller finance durable de l’Institut Louis Bachelier, son ami, témoigne : "Valéry a le premier eu l’obsession de quantifier la durabilité, ce qui a donné lieu à de multiples expériences menées en tant qu’analyste, avec plus ou moins de réussite mais toujours avec beaucoup d’humour. En véritable alchimiste des méthodologies ESG, c’est la recherche du Graal de la finance durable qui le motivait, à savoir la formule capable de verdir le système presque à son insu. Il s’est lui-même transformé en Grizzly - nom donné à l’entreprise lancée après son départ de Merrill, comme une façon de se rapprocher à la fois de la nature mais aussi de sa propre nature d’ours espiègle et bienveillant. Son dernier rêve était de transformer ses expériences en un vecteur de transmission pour la nouvelle génération d’apprentis-sorciers de la finance durable".

Transmettre la courte histoire, déjà très riche, des 25 premières années de la finance durable et des enseignements qu’on peut en tirer à travers une fondation, était son dernier grand projet. Ses compagnons de route ont commencé à prendre le relai. Valéry avait participé en 2011 à l’évènement annuel de Novethic. Il y avait évoqué la complexité déjà forte du marché de l’ISR : "vous avez des formes très diverses d’ISR. Vous avez des fonds ISR qui se revendiquent comme tels, vous avez des fonds ISR qui ne se revendiquent pas, vous avez des fonds ISR qui ne font de l’ISR qu’à travers leur politiques de vote. C’est un amas assez complexe pour lequel il est difficile de donner un chiffre précis". 

En janvier dernier, Valéry avait célébré ses 25 ans d’analyste ISR/ESG. Avec son humour habituel, il rappelait qu’à son démarrage dans la carrière, il n’y avait rien : pas de rapport RSE, pas de direction RSE, pas de données ESG, pas de CDP, SBTI et autres référentiels, pas de Global Compact et de PRI, pas de médias spécialisés comme Novethic, pas de régulation spécifique… Il y exprimait sa gratitude d’avoir pu contribuer avec succès à cette grande aventure collective qui a maintenant construit outils et données utilisés par des experts de plus en plus nombreux. Il est infiniment triste qu’il n’ait pas pu continuer à nourrir de nouvelles équations improbables les futurs développements de l’analyse ESG et les subtiles nuances de l’investissement durable sous SFDR.■


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