Mairead McGuinness, Commissaire européenne en charge des services financiers , @CE
L'ACTU
CSRD : le lobbying intense contre le reporting ESG pourrait avoir raison de l’ambition européenne
La guerre des standards de reporting ESG virerait-elle à l’avantage du modèle anglo-saxon prôné par l’ISSB ? La Corporate sustainability reporting directive (CSRD) semble en effet avoir du plomb dans l’aile, selon des informations publiées par le média britannique Responsible Investor. La Commission pourrait en effet revenir sur le caractère obligatoire du reporting sur les indicateurs de durabilité définis par l’Efrag, le groupe consultatif sur les normes financières et extra-financière de la Commission européenne.
Les ESRS, ces standards de reporting élaborés par l’Efrag, concernent aussi bien le climat que les droits humains, la biodiversité, etc. L’ambition initiale de la Commission consistait à imposer un reporting obligatoire sur certains indicateurs, dont les données climat, et laissait les entreprises effectuer une analyse de matérialité sur les autres indicateurs pour décider si le reporting était nécessaire ou non. Selon Responsible Investor, la Commission européenne envisage de permettre aux entreprises d’effectuer une analyse de matérialité sur l’ensemble des indicateurs ESRS, ouvrant la porte à un reporting très limité, une entreprise pouvant estimer que ces standards ne la concernent pas.
Intensification du lobbying
Cela fait plusieurs mois que la directive CSRD est chahutée. La publication de l’acte délégué, qui doit acter les standards de reporting, est prévue au plus tard pour le 30 juin. Le jeu du lobbying se fait donc de plus en plus intense. Interviewé par Novethic Essentiel en avril, le député européen Pascal Durand alertait déjà sur le risque d’un amoindrissement de la portée de la directive. "Tout repose désormais sur la qualité et la définition des normes et standards définis par l’Efrag. Des entités comme Business Europe l’ont compris et sont vent debout contre ces standards", expliquait-il. Il n’envisageait cependant pas, à l’époque, la possibilité qu’aucun indicateur de reporting ne soit obligatoire.
La Commission européenne fait cependant l’objet de pression extrêmement fortes, notamment du côté des entreprises américaines. La Chambre de commerce américaine en Europe (AmCham EU) a envoyé début mai une lettre à Mairead McGuiness, la commissaire européenne en charge des services financiers, pour lui faire part de ses inquiétudes. Et pour lui demander de revoir à la baisse les ambitions européennes, sous prétexte d’harmonisation entre les normes internationales.
La bataille sur la création de standards de reporting ESG dure en effet depuis plusieurs mois avec, d’un côté l’International sustainability standards board (ISSB), l’organe de la fondation IFRS présidé par Emmanuel Faber, et de l’autre l’Efrag. L’ISSB défend une vision purement financière du reporting, tandis que l’Efrag travaille sur le principe de double matérialité, selon lequel les impacts de l’entreprises sur son environnement sont également pris en compte.
La Chambre de commerce choisit son camp
L’AmCham a clairement choisi son camp. "Les entreprises ont besoin d’harmonisation et d’interopérabilité internationale en alignant, quand c’est possible, les ESRS (standards européens, NDR) avec la référence mondiale en cours de développement par l’ISSB", écrit ainsi le lobby américain. En clair, pas question de forcer les entreprises américaines à se livrer à un exercice purement européen d’analyse de double matérialité !
Une réaction qui provoque la colère sur LinkedIn de Laurent Babikian, global director data sale and distribution du CDP. "C’est en train d’arriver maintenant !", alerte-t-il. Il rappelle les raisons de ce lobbying intense : les États-Unis représentent 25% du PIB mondial et 45% de la capitalisation boursière, pour seulement 4% de la population. Selon des données de Refinitiv, près de 10 000 entreprises non européennes seront assujetties à la CSRD, dont près du tiers sont américaines. "On comprend donc facilement qu’ils veuillent maintenir ce leadership en ne demandant pas trop aux entreprises d’expliquer leur impact sur la nature et la société. Et c’est exactement ce que la double matérialité demande", explique-t-il.
La lettre de l’AmCham et les pressions par des organismes comme Business Europe semblent donc avoir raison de la détermination de l’Union européenne à créer un standard de reporting ESG. Il reste encore un mois avant la publication de l’acte délégué fatidique. Les tractations vont donc se poursuivre entre partisans d’un reporting ESG ambitieux, crucial pour mettre en œuvre le verdissement de l’économie européenne incarné par le Green Deal, et les partisans d’un reporting à la carte.■
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