Faillite de SVB, chute boursière de Crédit Suisse : le système bancaire face à ses vieux démons

@Rebecca Noble / AFP

L'ACTU

Faillite de SVB, chute boursière de Crédit Suisse : le système bancaire face à ses vieux démons

Par  Arnaud Dumas | Publié le 15/03/2023

Entre l’assouplissement de la réglementation prudentielle bancaire, une gestion des risques de liquidité défaillante et un écosystème de la tech en pleine tourmente, la Silicon Valley Bank n’a pas tenu longtemps. Incapable de faire face au "bank run" de ses clients, elle a été forcée à la faillite. Les autorités européennes ont d’abord voulu rassurer sur le risque de contagion à l’économie européenne. Mais quelques jours plus tard, le Crédit Suisse, fragilisé depuis plusieurs années, dégringolait en Bourse.

La chute spectaculaire de la Silicon Valley Bank a réveillé de vieux démons dans le monde financier. Un nouveau Lehman Brothers est-il en train de se produire sur la côte Ouest des États-Unis ? L’idée a forcément traversé l’esprit des autorités américaines qui ont réagi au quart de tour quand l’insolvabilité de la banque de la tech est devenue évidente, pour rapidement garantir la totalité de ses dépôts et organiser ce nouveau "bailout" d’un établissement bancaire. SVB raconte en effet une nouvelle fois l’histoire des excès d’un modèle à la poursuite de rendements au mépris de la gestion des risques, dans lequel le banquier de la Silicon Valley, mais aussi le régulateur, se sont engouffrés.

SVB, 16ème banque américaine en termes de taille de ses actifs, était un "pure player" du secteur du numérique aux États-Unis créé au début des années 80. Sa compréhension fine du modèle d’affaires des start-ups, qui dans leurs premières années ne génèrent pas de rentabilité mais se financent par des levées de fonds successives auprès des sociétés de capital-risque, lui a permis de rapidement se faire un nom. En recevant en dépôt les capitaux levés, la banque a pu développer ses financements aux jeunes pousses. La croissance des dépôts s’est accélérée à mesure que l’écosystème des start-ups se renforçait. Jusqu’à atteindre un pic en 2021, quand les levées de fonds auprès des "venture capitalists" se sont multipliées, pour dépasser les 189 milliards de dollars de dépôts.

La fin de l’argent facile

Ce modèle centré sur une seule industrie a toutefois commencé à craquer lorsque les levées de fonds se sont tassées. L’argent facile permis par les taux d’intérêt très faibles des banques centrales s’est peu à peu tari, du fait des politiques de lutte contre l’inflation. Selon les données de Crunchbase, les levées de fonds des start-ups américaines ont chuté de 63% au quatrième trimestre 2022 par rapport à l’année précédente, confirmant un déclin qui avait débuté dès le début 2022. La santé financière de SVB a suivi le même chemin… La fuite des dépôts bancaires, ou "bank run" de début mars, l’a achevé, quand ses clients ont tenté de retirer jusqu’à 42 milliards de dollars de dépôts en une journée.

Si SVB s’est retrouvée dans cette situation, c’est aussi parce que la banque a omis certaines règles de gestion des risques. Elle a en cela été aidée par la réglementation bancaire, assouplie en 2018 sous l’administration de Donald Trump. Pour Alexandria Ocasio-Cortez, la députée démocrate américaine, le régulateur mais aussi le lobbying bancaire sont à blâmer. "Les régulateurs étaient présents jusqu’à ce que SVB fasse du lobby au Congrès pour retirer les garde-fous qui empêchent ce genre de crise. Les alertes étaient partout. SVB, comme beaucoup de joueurs avant elle, savait ce qu’elle faisait. Laissons la FDIC (Federal deposit insurance corporation) regarder les comptes et voyons ce qu’elle trouvera", écrit-elle sur Twitter.

Allègement de la réglementation bancaire

Le Dodd-Franck Act, une loi réformant le marché financier promulguée en 2010 sous la présidence de Barack Obama suite à la crise financière de 2008 impose notamment des ratios de liquidité aux établissements bancaires. Mais, en 2018, des allègements ont été décidés pour faciliter la prise de risque. "Ces ratios concernaient les banques dont le bilan était supérieur à 50 milliards de dollars, Donald Trump a passé ce seuil à 250 milliards de dollars. Le bilan de SVB se situait juste en-dessous", explique Hervé Alexandre professeur de finance à l’Université Paris Dauphine et directeur du master banque et finance.

Dans un environnement de taux très bas, pour s’assurer une certaine rentabilité, SVB investissait ainsi une grande partie de ses dépôts en bons du Trésor à 10 ans. "C’est un placement sûr mais qui n’est pas liquide, elle s’est donc mise en situation de risque", reprend Hervé Alexandre. Lorsque les start-ups ont commencé à vouloir retirer leurs billes, leur banquier avait donc un accès plus difficile au cash.

La remontée rapide des taux d’intérêts par la banque centrale américaine l’a enfoncée un peu plus dans la crise. Elle a eu pour effet de sérieusement dévaloriser les placements à dix ans à taux fixes de la banque, son portefeuille ayant perdu 15 milliards de dollars de valorisation selon le Financial Times. SVB s’est retrouvée coincée quand elle a voulu vendre une partie de ses actifs pour faire face à la demande de liquidités.

Crédit Suisse, maillon faible en Europe

L’affaire SVB risque-t-elle de se propager en Europe ? La réglementation européenne est plus stricte sur les ratios bancaires, veut-on croire. "Même la seizième banque européenne a des contraintes de ratio de liquidité", rappelle Hervé Alexandre. Les marchés financiers européens ont néanmoins plongé lors de la révélation de la faillite de SVB, les banques ont perdu de l’ordre de 5% en Bourse, jusqu’à 9% pour Deutsche Bank. "Il n’y a certes pas un gros risque de contagion, mais partout les marchés ont été secoués, cela prouve que le système bancaire dans sa globalité n’est pas serein", reprend le directeur du master banque et finance de Paris Dauphine.

Y-a-t-il des maillons faibles dans le secteur bancaire européen qui pourraient en pâtir ? Comme une réponse à un mauvais oracle, à peine les marchés ont-ils commencé à reprendre des couleurs que le Crédit Suisse relançait la tempête. La banque suisse avait annoncé à l’automne 2022 un vaste plan de restructuration pour retrouver une meilleure situation financière. Le cours de son action a cependant plongé de près de 30% à la Bourse de Zurich, le 15 mars, suite à une déclaration de son premier actionnaire, la Saudi National Bank, expliquant qu’il ne remettrait pas au pot. Les banques européennes plongeaient à nouveau dans son sillage, montrant la fébrilité des investisseurs sur le secteur bancaire. L’hyper-spécialisation de la Silicon Valley Bank dans la tech a accéléré sa chute, mais l’a circonscrite à un secteur bien précis de l’économie. Crédit Suisse, en revanche, fait partie des banques généralistes "Too big to fail" (trop grosses pour faire faillite) qui peuvent poser un risque systémique à l’ensemble de l’économie.■


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