La controverse Orpéa, champion de l’ISR, entraîne le secteur des Ehpad dans sa chute

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L'ACTU

La controverse Orpéa, champion de l’ISR, entraîne le secteur des Ehpad dans sa chute

Par  Novethic, Arnaud DUMAS | Publié le 25/01/2022

Secteur de prédilection pour les fonds ISR, les sociétés gérant des Ehpad se retrouvent aujourd’hui prises en pleine controverse. Le livre dénonçant les pratiques de la société Orpéa a entraîné la chute de son cours de Bourse, en mettant en lumière les impacts sociaux très négatifs de son activité. Le secteur attire pourtant les investisseurs responsables en quête d’investissement sociaux.

Notes ESG moyennes, scores de controverse faibles et secteur assis sur une tendance forte des sociétés occidentales en proie au vieillissement de leur population. Les entreprises gérant des maisons de retraites ont, sur le papier, tout pour plaire pour les investisseurs responsables. Elles se retrouvent dans bon nombre de fonds labellisés ISR. Mais la sortie du livre de Victor Castanet, journaliste au Monde, intitulé "Les Fossoyeurs, révélations sur le système qui maltraite nos aînés" chez Fayard, vient tout jeter par terre. Son enquête sur Orpéa, l’un des leaders français du secteur, montre comment l’entreprise fait primer ses profits sur le bien-être de ses patients.

Dans un communiqué, Orpéa se défend en jugeant les accusations du livre "mensongères, outrageantes et préjudiciables". L’entreprise affirme que les enquêtes annuelles de satisfaction auprès des résidents et des familles montrent des résultats élevés, de 95 %. Suite à l’article du Monde sur le sujet le 24 janvier, le cours de bourse d’Orpéa a cependant perdu plus de 15 %, avant d’être suspendu. Korian, autre entreprise française du secteur, a été entraînée dans la tourmente et a également vu son titre chuter.

Le secteur en entier souffre en effet de faiblesses chroniques sur son "facteur S" de la grille d’analyse ESG (environnementale, sociale et de gouvernance). Le rapport des professeurs Claude Jeandel et Olivier Guérin sur les Ehpad, remis fin 2021 à Brigitte Bourguignon, la ministre déléguée à l’Autonomie, pointait ainsi la situation de sous-effectif du secteur avec des ratios d’encadrement trop faibles pour pouvoir s’occuper suffisamment des résidents, surtout à mesure que les patients perdent en autonomie.

Stress-test du modèle

C’est donc en regardant sous le capot du modèle d’affaires de ces résidences pour séniors que le risque Social apparaît. Un exercice auquel s’est livré le cabinet de conseil en finance durable Axylia, à la demande d’un de ses clients, une association travaillant notamment avec les personnes âgées. Son constat : l’analyse ESG des sociétés de gestion ne va pas assez en profondeur. La plupart des fonds ISR détenus par son client détenaient en effet les sociétés cotées du secteur, dont Orpéa ou Korian. "Les gérants aiment bien ces valeurs, parce qu’elles ont un parcours boursier intéressant et parce qu’ils classent la Silver Economy parmi les "megatrends", ces grandes tendances à long terme", explique Vincent Auriac, le président d’Axylia. Après l’étude du modèle d’affaires de ces entreprises, son client a pourtant décidé de vendre toutes ses participations dans ces fonds.

"C’est un secteur qui vit sur des tensions, on ne peut donc pas être surpris que des affaires comme celle-ci sortent", déclare Vincent Auriac. Axylia a repéré deux points de tension principaux : le coût des repas journaliers, très faible, et les ressources humaines, avec les sous-effectifs cités par le rapport ministériel, et les salaires trop faibles induisant un fort turnover. Le cabinet s’est ensuite livré à un stress-test de ces sociétés, en imaginant l’effet qu’aurait une augmentation de 10 % de la masse salariale de ces entreprises. "Cela annule leurs bénéfices", résume Vincent Auriac. Même constat pour les frais de bouche. "Ils sont calculés au centime près, reprend le dirigeant d’Axylia. Si on part d’une hypothèse d’une augmentation à 8 euros du coût des repas journaliers, là encore le modèle explose."

Outre le problème social, c’est aussi le modèle économique du secteur qui pourrait être remis en question. Un problème que certains investisseurs, soucieux de critères sociaux, ont choisi d’adresser par le biais de l’engagement actionnarial. La société de gestion Meeschaert AM, qui étudie l’empreinte sociale de ses participations, dialogue depuis plusieurs années avec les entreprises du secteur sur le sujet des ressources humaines. Elle participe également à une initiative regroupant une centaine d’investisseurs institutionnels européens sur le même sujet, qui ont envoyé une lettre aux gérants de résidences pour séniors, soulevant notamment le problème de sous-effectifs, de faibles salaires ou encore de qualité des soins. Le dialogue a été particulièrement développé au début de la crise sanitaire, lorsque les Ehpad ont, déjà à l’époque, été sous le feu des critiques en raison de clusters qui s’y développaient. Selon le rapport d’engagement 2020 de Meeschaert, Korian déclarait vouloir augmenter progressivement son taux d’encadrement et les salaires.

Mais n'est-ce pas en fait tout le modèle des Ehpad, régulièrement mis en cause sur l'impact engendré par les grands événements type pandémie ou canicules, et plus généralement de la gestion des soins pour les personnes âgées, qui est pris en défaut ? L’ampleur de la controverse actuelle montre en tout cas que ce modèle va sans doute devoir évoluer.■


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