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L'ACTU
La double matérialité perd la bataille de la communication face à l’ISSB d’Emmanuel Faber
Il arrive que les débats techniques cachent de grands enjeux. ISSB contre Efrag n’est pas seulement une bataille sur la normalisation des données ESG fournies par les entreprises cotées. Elle pose plus largement la question de savoir si on pose un cadre les incitant fortement à mesurer leurs impacts environnementaux, positifs comme négatifs, ou si on réduit cet exercice à la mesure des conséquences financières du changement climatique sur leurs modèles d’affaires.
L’Europe perd du terrain alors qu’elle avait amorcé, dès 2018, le projet de créer des standards de finance durable permettant de lier les données ESG fournies par les entreprises, à sa taxonomie et à son Green Deal. La règlementation CSRD qui entre progressivement en vigueur, doit s’appuyer sur des standards de normes sur lesquels travaille l’Efrag. La Commission a mis en consultation un premier projet de cadre normatif qui assouplit ses intentions initiales. Trop complexes pour les entreprises surtout les ETI et les PME, elles peinent à convaincre face aux difficultés à promouvoir la complexité au bénéfice de la réduction des dommages causés à l’environnement en général. La campagne de communication d’Emmanuel Faber, le président de l’ISSB, prend le contrepied en mettant en scène la simplicité efficace de ses propositions.
Des normes qui n’embarquent pas la mesure des impacts environnementaux
Invités dans plusieurs médias, il défend ses normes ESG capables de résoudre tous les problèmes alors que les voix sont nombreuses pour souligner qu’elles n’embarquent pas la mesure des impacts environnementaux. Invité de l’émission économique de France Inter, il affirme que : "les marchés financiers sont l’allié indispensable des politiques publiques dans le cadre de la transition écologique et sociale et l’International Sustainability Standards Board (ISSB) est l'adaptateur indispensable pour pouvoir brancher toutes les initiatives sur le circuit de la finance et le langage de l'économie mondiale".
Mireille Martini, Conseillère de Climate Bonds Initiative et ancienne membre de la plateforme européenne d’experts, lui répond aussitôt. "On peut douter que la prise en compte par les décideurs financiers des nouvelles informations que fournira l'utilisation de l'ISSB, basées sur le risque financier que l'environnement fait encourir, permette de réorienter massivement et rapidement les financements comme la lutte contre la dégradation climatique et environnementale l'exigerait", estime-t-elle.
Dans Challenges l’ancien patron de Danone va même jusqu’à expliquer que les normes ISSB imposent la fin du greenwashing. Cette fois c’est Alexandre Rambaud co-fondateur de la Chaire sur la comptabilité écologique dont le sang ne fait qu’un tour. Il rappelle que "si on ne compte que le carbone même en scope 3 (les émissions indirectes) cela consiste à obliger à compter ce qui significatif pour les entreprises et non ce qui est significatif pour les écosystèmes, le climat, etc. On fait mieux comme lutte contre le greenwashing. En fait, n'est-on pas dans une forme de greenwashing, à savoir le greenlighting ?"
Risque de "greenlighting"
Il précise ainsi son idée : "communiquer sur le fait qu'on réduit le risque climatique sur la création de valeur actionnariale ou qu'on prend en compte des opportunités de création de valeur actionnariale offertes par le changement climatique, tout en omettant consciencieusement les impacts sur le changement climatique c’est du greenlighting".
Parler vert pour laisser penser que tous les curseurs sont orientés sur une transformation rapide et significative de l’économie vers des modèles plus durables et respectueux de l’environnement, c’est la tonalité des principaux reproches faits à l’ISSB d’Emmanuel Faber.
À ce stade, il y a bien une grande bataille de normes ESG entre l’Europe et les États-Unis, entre l’Efrag et l’ISSB, que beaucoup résument à la standardisation des données. Les Américains ont beaucoup d’avance puisqu’ils ont à la fois déjà gagné la bataille des marchés avec les normes IFRS, dont l’ISSB est une émanation, et aussi parce qu’ils ont racheté la quasi-totalité des fournisseurs de données ESG européens. Disposer du Français Emmanuel Faber comme porte étendard aide à mener la bataille contre la version européenne des normes. Principal argument : elles seraient trop complexes et inapplicables pour bon nombre d’entreprises qui n’ont même pas encore commencé à faire leur bilan carbone.
La Commission a choisi face à cet intense lobbying de mettre en consultation jusqu’au 7 juillet une version plus allégée que prévue de son référentiel ESRS. Elle est sous pression pour tenir le cap et obliger entreprises comme investisseurs à prendre massivement le tournant vert. Mais cela suppose un énorme travail de clarification et d’harmonisation de ces textes qui ne sera possible qu’avec un portage politique fort. Cela semble difficile à une Commission en fin de mandat qui s’interroge sur les résultats des prochaines élections européennes de 2024. ■
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