@Joël Saget/AFP
L'ACTU
Le crépuscule de l’alliance des assureurs pour la neutralité carbone n’augure rien de bon pour le climat
Les messages se succèdent et se ressemblent. Pour le réassureur français Scor, c’est en assemblée générale que son nouveau directeur général, Thierry Léger, a décidé d’annoncer le 25 mai son retrait de la NZIA (pour Net Zero Insurer Alliance), l’initiative qui rassemble les assureurs désireux de s’engager dans la neutralité carbone. Il a respecté le rituel, devenu habituel, qui consiste à dire que cela ne remet en rien en cause les engagements climat de l’entreprise, sans détailler les raisons de cette décision.
AXA et Allianz ont fait la même annonce le même jour avec le même message : cela ne remet pas en cause nos engagements climat pris au titre de nos entreprises. Ils ont ensuite été imités par quatre nouveaux assureurs. Parmi eux, Lloyd's. Alors que son directeur déclarait à Reuters le 24 mai que l’Alliance devait adopter des règles moins prescriptives pour éviter sa dissolution, tout en précisant qu'il n’avait "aucune intention de la quitter", il la quittait finalement deux jours plus tard. Le patron de Munich Re qui avait fait le choix similaire en mars dernier de ne plus jouer collectif, avait quant à lui précisé : "Il est plus efficace de continuer à poursuivre notre ambition climatique de manière indépendante en tant qu’entreprise".
Il est permis d’en douter car ces alliances reposent sur le principe de donner le même cadre à un métier donné pour ses engagements climat afin qu’ils soient suffisamment harmonisés et ambitieux pour espérer respecter l’objectif de l’Accord de Paris et donc la neutralité carbone globale en 2050. Celle-ci ne peut se mesurer ni à l’aune d’une entreprise ni à celle d’un Etat, c’est pourquoi il est indispensable de coordonner les actions des uns et des autres pour vérifier, par exemple, que les assureurs et les réassureurs sont sur la bonne trajectoire.
De l'intérêt de jouer collectif
Dans le cadre de l’initiative finance du Programme des Nations Unies pour l’environnement (UNEP FI), plusieurs alliances dites Net Zero (pour neutralité carbone) différenciant les banques, les assureurs et les investisseurs ont été lancées, chacune élaborant un protocole climat adapté au métier visé. Le protocole spécifique de l’alliance de l’assurance avait été publié début 2023 et ses membres devaient annoncer, au plus tard le 31 juillet, comment ils le mettaient en œuvre en adoption des objectifs chiffrés pour verdir leurs modèles d’assurance.
Rester au sein de l’alliance permettait aux parties prenantes externes de comparer les démarches climat et d’en évaluer les impacts en particulier sur l’assurance du secteur des énergies fossiles. C‘est ce qu’ont bien compris les gouverneurs Républicains américains qui ferraillent contre toute prise en compte de critères ESG par des acteurs financiers au nom de leur anti "wokisme" et de leur défense du pétrole et du gaz. Ron de Santis, gouverneur de Floride et candidat à la primaire républicaine, est un des représentants les plus connus de ce mouvement qui se développe.
Les menaces américaines
Une vingtaine de procureurs issus de ces États anti-ESG ont écrit à la NZIA pour la menacer d’entamer des recours contre les engagements de ses membres. Dans son communiqué actant les départs des "pères fondateurs", l’alliance a rappelé que "chaque entreprise est libre d'adhérer à la NZIA ou de s'en retirer à tout moment et pour n'importe quelle raison, en particulier ceux qui ont une activité et une exposition importantes aux États-Unis."
L’efficacité des menaces américaines sur le délitement de cette très récente organisation est d’autant plus préoccupante que ses signataires doivent aussi plaider auprès des gouvernements pour une "politique climatique ambitieuse de transition juste vers la neutralité carbone". À l’heure où en Europe les gouvernements français, belge et néerlandais appellent à une pause environnementale, il est inquiétant de voir se multiplier les départs.
Du plomb dans l'aile
Le dirigeant de Crédit Agricole Assurance, Philippe Dumont, rappelait en décembre dernier à Novethic Essentiel à quel point des politiques collectives comme celle de NZIA sont structurantes pour celles qu’adoptent respectivement leurs membres. Gage de sérieux de l’ambition climatique, les alliances Net zero ont du plomb dans l’aile tout comme l’enthousiasme né de l’Accord de Paris de voir le secteur financier jouer de toute sa puissance pour transformer et verdir les entreprises qu’ils financent et/ou assurent.
Au pied du mur, il est aujourd’hui sommé par les uns de cesser de soutenir une économie fossile revigorée par la guerre en Ukraine, et par les autres de renoncer à ses engagements climat sous peine de poursuites juridiques. Les menaces des seconds ont visiblement plus de poids, en tous cas auprès des services de conformité des banques et assurances qui s’inquiètent de voir fleurir des engagements en contradiction avec les pratiques des métiers. Être attaqué sur ses contradictions flagrantes entre ce qui est dit et ce qui est fait est aujourd’hui un risque juridique bien réel dont les banques américaines ont commencé à s’inquiéter il y a déjà plusieurs mois
Un vent mauvais souffle sur les engagements climat, en recul, alors qu’ils n’ont même pas commencé à produire leurs effets. Pourtant l’assurance commence déjà à voir les limites de son modèle actuel. La "désassurance" pour cause de changement climatique a commencé aux États-Unis. L’assureur State Farm vient d’annoncer qu’il n’assurerait plus aucune maison ou appartement en Californie à cause des incendies qui dépassent les 7 000 cas par an. C’est pourtant le plus important assureur de particuliers pour l’automobile et la voiture. Mais pour lui le modèle n’est plus viable en Californie. ■
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