@CCO
L'ACTU
Le scandale des crédits carbone jette le discrédit sur la finance climat et l’un de ses pionniers, South Pole
Lancée en 2006 par "cinq jeunes entrepreneurs sociaux", l’organisation suisse South Pole est devenue au fil des rachats un promoteur de solutions climat permettant "d’accompagner les entreprises dans leur stratégie de neutralité carbone et les acteurs financiers dans leurs politiques d’investissement climat". Cultivant sa propre légende de pionnier de la lutte contre le changement climatique, South Pole a réalisé un film pour ses 15 ans, en 2021, où on voit les cinq fondateurs crapahuter sur un glacier qui fond et se jurer de continuer le combat contre le réchauffement climatique.
Or la légende risque d’être sérieusement écornée, car la réalité de South Pole est plutôt d’être devenu un acteur majeur du business de la finance climat. Il y a tout juste un an, en février 2022, la société annonçait avec fierté l’arrivée de deux nouveaux actionnaires, le fonds souverain singapourien Temasek et la filiale capital risque de Sales Force, attirés par l’explosion de la demande de crédits carbone qui avait permis à l’entreprise de Zurich de passer de 322 salariés à 800 entre 2020 et 2022. South Pole mettait en avant la possibilité de donner une nouvelle ampleur à son offre de services, grâce à ces nouveaux partenariats : "mesure de l’impact climat, trajectoires climat alignées sur la science, compensation carbone et investissements dans la finance climat".
Une réputation entachée par le scandale des crédits carbone
Le scandale des crédits carbone dénoncé par un consortium de journaux d’investigation vient aggraver une grave crise de réputation entamée il y a déjà plusieurs mois. En novembre dernier, Bloomberg évoquait déjà les "Junk Carbon offsets", comprendre les crédits carbone pourris, qui permettaient à de nombreuses entreprises d’afficher un engagement d’atteindre la neutralité carbone à peu de frais. Car cette démonstration à grande échelle que les centaines de millions investis dans les crédits carbone ne financent pas vraiment des projets favorables au climat, participe du doute qui s’installe sur la capacité de l’écosystème de la finance climat à pousser les entreprises à réduire drastiquement leurs émissions de gaz à effet de serre.
Premier signal d’alerte en 2017 quand South Pole a vendu à ISS ESG la globalité de sa branche climat, Climate Neutral Investments, pour un montant non révélé. South Pole disposait à l’époque, selon ISS, de "la plus grande base de données mondiales d’entreprises sur le climat" développée par Maximilien Horster actuel directeur d’ISS ESG. Ce rachat s’inscrivait dans un mouvement qui n’a cessé de se renforcer depuis, amenant des acteurs américains de premier plan à acheter des savoir-faire développés en Europe en quête de capitaux pour adapter leur offre à des marchés en pleine expansion. Ils en ont souvent fait des business très rentables autour du climat et de l’ESG sans que les données sur le climat fournies par les entreprises et les investisseurs gagnent une crédibilité climatique forte. Les émissions de Scope 3 par exemple restent un pan encore inconnu, nourri de données parcellaires voire incohérentes, ce qui complique le suivi effectif des trajectoires de décarbonation des entreprises.
Autre difficulté, l’engagement actionnarial ne donne pas de résultats plus spectaculaires. La coalition lancée en 2017, Climate Action 100+, n’a pas obtenu le résultat espéré : réduire réellement les émissions des plus gros émetteurs mondiaux. Elle n’a obtenu que des engagements de neutralité carbone à base de compensation aujourd’hui remise en cause parce qu’elle repose sur des projets factices. De plus, les grands investisseurs les plus engagés peinent à contester les dirigeants dont les engagements climat sont trop faibles comme le montre une étude récente de Majority Action.
Le fonds à impact, une goutte d’eau parmi les émissions des grands groupes
Il ne suffira donc pas, pour contrebalancer cette image désastreuse, de développer des fonds d’impact à l’image de celui lancé en juin 2021 par South Pole en partenariat avec le WWF. Doté de 25 millions de dollars, le fonds pour la résilience des territoires annonce vouloir en collecter 100 millions d’ici 2025 pour financer des projets d’adaptation. Le LRF ("Landscape Resilience Fund") doit fournir financement et assistance technique aux PME et petits exploitants travaillant sur des territoires vulnérables, à l’image des cultivateurs de cacao et des récolteurs de rotin qui doivent pouvoir accéder à des meilleurs matériaux comme les semences résistantes à la sécheresse, ainsi qu'à des formations et des financements.
"Les prêts remboursés seront réinvestis dans d'autres PME, créant ainsi un outil de financement autonome et durable soutenant l'adaptation au changement climatique", explique Stefan Schwager, président de la Fondation "Landscape Resilience Fund". Il ajoute : "en investissant dans les PME et les communautés locales des pays en développement, le Landscape Resilience Fund vise à développer la compréhension et la mise en œuvre efficace des actions qui favorisent la résilience climatique et le bien-être humain - territoire par territoire, PME par PME, village par village".
Une goutte d’eau dans l’océan des émissions de gaz à effet de serre générées par de très grandes entreprises dont les stratégies de décarbonation reposent en grande partie sur des mécanismes de compensation. Le dernier scandale qui met en cause leur réalité génère de nouvelles interrogations sur la réalité de leur politique de réduction drastique de leurs émissions afin d’atteindre vraiment la neutralité carbone en 2050 !■
ARTICLES ASSOCIÉS
Bernard Looney évincé à la tête de BP : la transition énergétique lui survivra-t-elle ?

Laurent Berger passe du combat syndical à la transformation climatique du Crédit Mutuel

Les superviseurs financiers américains peinent à rattraper leur retard sur le climat

Stress test climatique de la BCE : plus la transition sera retardée, plus elle sera coûteuse

"L'ESG est un moyen de garder les actionnaires" : comment Euronext veut prendre le train de la finance durable

En Colombie, les banques publiques se réunissent pour renforcer leur rôle dans la finance mondiale
