Les entreprises minières trop exposées au charbon ne peuvent plus faire partie des portefeuilles d'investissement du fonds souverain norvégien. , @Glencore
L'ACTU
Les nouvelles exclusions du fonds souverain norvégien consacrent les listes d’ONG
Norges Bank Investment Management (NBIM), le gestionnaire d’actifs de la Banque de Norvège en charge du fonds souverain du pays, a annoncé le 13 mai avoir placé sur sa liste d’exclusions huit nouvelles entreprises minières et pétrolières et 4 électriciens. Venant d’un acteur dont les décisions font prescription, il s’agit là d’un signal fort envoyé aux investisseurs du monde entier, qui pourraient bien à l’avenir vouloir s’intéresser encore davantage aux listes d’exclusions des ONG, sur lesquelles figuraient en bonne place ces 12 entreprises.
Bloomberg estime à environ 3,3 milliards de dollars la valeur des parts vendues par NBIM dans ces entreprises (Canadian Natural Resources Limited, Cenovus Energy Inc, Suncor Energy Inc, Imperial Oil Limited, ElSewedy Electric Co, Vale SA, Eletrobras, Sasol Ltd, RWE AG, Glencore PLC, AGL Energy Ltd et Anglo American PLC).
Des entreprises bien connues de la Global Coal Exit List
Pour Glencore, Anglo American, RWE, AGL Energy et Sasol, la cession des titres était acquise depuis le 1er septembre 2019. Le fonds norvégien avait en effet décidé un nouveau critère pour exclure les entreprises dont la production annuelle de charbon thermique excède 20 millions de tonnes, ou dont la capacité installée de centrales charbon dépasse 10 gigawatts. Ce critère dit “absolu” était venu compléter un premier critère “relatif”, fixant à 30 % la part du charbon dans le chiffre d’affaires ou la production d’électricité d’une entreprise, que NBIM applique depuis 2015.
L’ONG allemande Urgewald, qui tient à jour la Global Coal Exit List (GCEL), a salué la décision du fonds souverain norvégien, tout en rappelant que NBIM n’applique que deux de ses trois critères. Urgewald intègre un critère “d’expansion”, qui cible les entreprises encore impliquées dans des projets d’accroissement de leurs capacités d’extraction et de production d’électricité à partir de charbon, mais aussi la construction de nouvelles infrastructures dédiées au charbon.
Ce troisième critère concerne encore 417 entreprises dans le monde, dont 50 en Europe, comme CEZ, Energa et Enea, ou encore Uniper. Cette dernière a été mise cette fois sur liste d’observation par NBIM. Elle est connue pour être derrière la nouvelle centrale Datteln 4 en Allemagne mais aussi pour avoir menacé d’attaquer le gouvernement néerlandais en justice en raison d’un plan de sortie du charbon qu’elle juge trop brutal. NBIM a également mis sur liste d’observation Enel (qui exploite plus de 10 GW selon la GCEL) et le groupe BHP Billiton, qu’Urgewald considérait comme sujet au désinvestissement immédiat avec ses 27,5 millions de tonnes de charbon extraites en 2019 mais qui cherche à se séparer d’une partie de ses actifs charbon colombiens.
Les critères de la GCEL, appliqués depuis 2015 et déjà utilisés par neuf investisseurs institutionnels français, doivent évoluer en 2020 pour tenir compte de la trajectoire 2°C décrite dans le dernier rapport du GIEC. Le critère relatif devrait être abaissé à 20 % et le critère absolu à 10 millions de tonnes et 5 gigawatts.
Les sables bitumineux canadiens pointés du doigt
En excluant Canadian Natural Resources, Cenovus Energy, Suncor Energy et Imperial Oil, NBIM envoie un signal très fort au secteur canadien des sables bitumineux, dont le modèle de rentabilité est déjà remis en cause par plusieurs années de cours bas du baril. Surtout, c’est la première fois que NBIM motive sa décision par une règle adoptée en 2016, autorisant la sortie d’entreprises à l’origine d’"émissions inacceptables de gaz à effet de serre".
Le Conseil d’éthique du fonds préconisait en fait d’exclure ces quatre sociétés depuis 2017. Outre leur caractère carbo-intensif, le Conseil note que ces entreprises ne sont soumises à aucun système d’échange de quotas d’émissions comme en Union européenne, et bénéficient d’une fiscalité très favorable de la part du gouvernement canadien. En termes de réserves de sables bitumineux actuellement en production, les quatre entreprises exclues par NBIM figurent également dans les six premières places de la liste du dernier rapport Banking on Climate Change, publié par plusieurs ONG dont BankTrack et Rainforest Action Network.
Reste enfin le cas de Vale. Le Conseil d’éthique motive sa décision par la responsabilité de l’entreprise dans la rupture du barrage minier de Brumadinho en janvier 2019. À ce jour NBIM n’est pas membre de la coalition d’investisseurs Investor Mining and Tailings Safety Initiative. Leur engagement auprès de 683 entreprises minières cotées a permis de lancer en janvier le Global Tailings Portal, une base de données des barrages miniers dans le monde à destination des investisseurs.
Une décision qui fait grand bruit
Les annonces de NBIM font l'unanimité en Norvège, et ont été largement saluées par diverses organisations environnementales. Elles ont en revanche été accueillies plus froidement au Canada. La ministre de l’Energie de la Province de l’Alberta s’est indignée dans le Financial Post d’une décision “mal informée et hautement hypocrite”. L’article prédit que le secteur des sables bitumineux pourrait devoir faire face à un exode d’autres investisseurs. Le Premier ministre Justin Trudeau a de son côté estimé que cette décision devait servir d’avertissement au secteur canadien de l’énergie, face à “un climat d’investissement en évolution”.
L’entreprise RWE a également exprimé son mécontentement, via son antenne de presse qui a déclaré sur Twitter que le procès fait au charbon en oubliant le pétrole et le gaz était “arbitraire et n’aidait pas le climat”.
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