Les repentis de la finance durable ciblent l’ESG de façade

Une minorité de fonds ESG sont dans le vert en terme d’alignement climatique sur l’Accord de Paris. , @InfluenceMap

L'ACTU

Les repentis de la finance durable ciblent l’ESG de façade

Par  Novethic, Anne-Catherine HUSSON-TRAORE | Publié le 27/08/2021

Tariq Fancy, ex-cadre dirigeant de BlackRock, a jeté un nouveau pavé virtuel dans la mare de la finance durable. Dans son "Journal secret d’un investisseur durable", il dénonce l’incapacité de l’ESG à transformer les marchés et les entreprises. Il évoque un effet placébo donnant l’illusion de voguer vers la neutralité carbone pour mieux protéger le scénario "business as usual". L’écho qu’il rencontre témoigne de l’avis de tempête qui pourrait souffler sur le mouvement pour la COP 26.

Les préparatifs de la COP 26 conduisent à faire le bilan de la COP 21 qui avait levé dans un même élan États, entreprises et investisseurs contre le changement climatique. Cette mobilisation sans précédent a abouti à l’Accord de Paris de 2015 et a fait naître l’espoir que les trois acteurs précédents ligueraient leurs forces pour limiter le réchauffement climatique en deçà de deux degrés. Que reste-t-il de cette ambition six ans après ? Rien pour Tariq Fancy, responsable en 2018 et 2019 des investissements durables du géant de l’investissement BlackRock, quand son dirigeant, Larry Fink, estimait déjà qu’ils étaient déterminants pour l’avenir économique de la planète. 

Dans son essai publié en ligne le 20 août, il tire la conclusion suivante : "Au départ je me suis dit que la finance durable consistait à vendre de la poudre de perlimpinpin à un cancéreux. Cela peut jouer le rôle d’un placebo susceptible d’améliorer un peu sa santé. Aujourd’hui je pense que c’est bien pire que cela car non seulement on vend cette poudre de perlimpinpin aux marchés financiers comme un remède à leurs dérives, mais de plus son emballage marketing, noble et trompeur, empêche le patient de poursuivre sa thérapie et le cancer dont il souffre continue à faire ses ravages". 

Une controverse qui prend de l’ampleur

Cela peut se traduire de la façon suivante : la finance durable ne peut pas être un outil de transformation du modèle économique dominant car elle est faite par des acteurs en quête des profits produits par ce modèle, dont ils sont les premiers bénéficiaires. 

Le témoignage de Tariq Fancy nourrit une controverse qui prend de l’ampleur. La première salve est partie du Wall Street Journal qui dénonçait la poule aux œufs d’or des ETF ESG sur le mode : "À quoi bon payer des frais de gestion plus élevés pour une analyse ESG qui sert à construire des portefeuilles ou des fonds indiciels si proches de ceux qui n’en bénéficient pas ?"  

La seconde salve pourrait être beaucoup plus coûteuse pour la crédibilité de la finance durable. Celle-ci a certes gagné un terrain considérable en volume, puisque les encours des fonds durables mondiaux sont estimés à 1700 milliards de dollars. Mais elle a bien du mal à démontrer son impact et sa capacité à limiter les dégâts environnementaux et sociaux produits par les entreprises sélectionnées sur des critères ESG. 

Démontrer les surperformances climatiques

L’essai de Tariq Fancy fait écho aux analyses portées par Alain Grandjean et Julien Lefournier, ex-banquier lui aussi, dans leur livre "L'illusion de la finance verte" sorti en mai, ainsi qu’à celles d’un autre repenti, Jeremy Désir-Weber. Passé par le trading algorithmique pour HBSC, il a dénoncé les mêmes dérives dans son livre publié en 2020 : "Faire sauter la banque", sous-titré "Le rôle de la finance dans le désastre écologique". 

Influence Map contribue aussi à lancer l’alerte sur ce thème avec une étude publiée le 27 août. Le think tank a analysé l’alignement sur l’Accord de Paris de 723 fonds dont le marketing fait référence à l’ESG ou au climat, et dans lesquels sont investis 330 milliards.  Il souligne que ces produits "manquent de cohérence et de transparence sur leur alignement avec les objectifs climatiques mondiaux de l’Accord de Paris", ce qui pourrait conduire leurs souscripteurs à évoquer la tromperie sur la marchandise. 

Pour Influence Map, il est indispensable que l’ESG démontre ses "surperformances climatiques" par rapport aux produits financiers classiques pour garder sa crédibilité. Or, six ans après la COP 21, cette attente légitime reste insatisfaite. De quoi apporter de l’eau au moulin de tous les repentis de la finance durable. Le défi de tous les engagements pris dans le cadre de la COP 26 sera de parvenir à démontrer que raison d’être, bien commun, profit et croissance sont vraiment conciliables pour dépasser le temps des incantations. C’est loin d’être gagné !■


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