Say on climate : la tension monte à l'approche de la saison des assemblées générales

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L'ACTU

Say on climate : la tension monte à l'approche de la saison des assemblées générales

Par  Arnaud Dumas | Publié le 23/02/2023

La saison des assemblées générales n’a pas encore démarré, mais déjà un sujet de discorde profonde émerge entre les investisseurs et les grands groupes. La pratique du Say on climate, soutenue notamment par le Forum pour l’investissement responsable, a commencé à se développer dans les AG 2022, avec une douzaine de résolutions soumises au vote. Au grand dam des entreprises cotées, qui multiplient les arguments pour y mettre un coup d’arrêt. La saison des AG 2023 risque d’être mouvementée.

"L’année dernière, nous avons comptabilisé douze Say on climate en France et 34 au niveau européen. Cela reste marginal rapporté au nombre de sociétés cotées", remarque Charles Pinel, directeur général de Proxinvest. L’expérience n’a cependant pas été du goût des entreprises. Ingérence des actionnaires dans la stratégie, simplification des sujets climatiques, ou encore risque d’image quand les stratégies ne sont pas suffisantes… les organisations patronales ne veulent plus entendre parler de ces résolutions. Le code Afep-Medef, sur la bonne gouvernance des entreprises, dans sa révision de décembre 2022 a décidé de se saisir de la question.

Les organisations patronales ont dédié un nouveau chapitre du code à la responsabilité sociale et environnementale ainsi qu’aux enjeux climatiques. Mais pas question de Say on climate dans ce nouveau chapitre. Le code marque une ligne claire sur les compétences de chacun. Le conseil d’administration définit les grandes orientations stratégiques sur la RSE, la direction générale en définit les modalités de mise en œuvre qu’elle présente au conseil. Ces modalités sont assorties d’un plan d’action et des horizons de temps pour mener ces actions. Le conseil d’administration est ensuite chargé de veiller tous les ans à la bonne marche du plan climatique et, le cas échéant, à sa modification.

Vote contre simple présentation

Les actionnaires en sont notifiés tous les trois ans en assemblée générale. "Nous attendons qu’un point soit fait pendant l’assemblée générale par un membre du management sur la stratégie climatique. Mais ce n’est pas un Say on climate, ce n’est pas une résolution, explique-t-on à l’Afep. Nous ne sommes pas prescriptifs pour les actionnaires, chaque entreprise a la liberté de faire comme elle l’entend".

La définition de la stratégie ne peut pas relever des actionnaires. Pour l’Afep, leur analyse du plan climatique doit s’exprimer au moment du vote sur la gouvernance de l’entreprise pendant l’assemblée générale. Le cabinet de conseil en vote Proxinvest, qui vient tout juste d’être racheté par l’Américain Glass Lewis, prévoit justement de voter contre le management de certaines entreprises. "Nous voulons nous focaliser sur les renouvellements de présidents du conseil et de président du comité RSE des sociétés ciblées par la coalition Climate Action 100+, confie Charles Pinel. Nous voterons contre ces renouvellements pour celles qui ne présentent pas de Say on climate et dont la politique climat n’est pas conforme à nos critères".

Pour les investisseurs, ce dispositif n’est pas satisfaisant. Le Forum des investisseurs responsables (FIR) a publié, à quelques jours d’écart de la révision du code Afep-Medef, des propositions pour encadrer les Say on climate. "La pratique des Say on climate est très diverse, aussi bien en France qu’en Europe", remarque Nathalie Lhayani, la présidente du FIR. Le contenu de ces résolutions devrait donc être normé et contenir des informations sur la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre sur les trois scopes, des objectifs à court, moyen et long terme et la stratégie éventuelle de compensation. Les plans d’actions devraient expliquer la mise en œuvre en précisant les étapes pour atteindre l’alignement sur un scénario de réchauffement à 1,5°C, avec les investissements prévus.

Faciliter le dépôt de résolution externe

Pour le FIR, la question du vote ne se pose pas. D’autant que le Haut comité juridique de la place de Paris (HCJP), dans son rapport sur les résolutions climatiques, lui a donné raison. "Le HCJP dit que rien ne s’oppose à ce que le conseil d’administration soumette un Say on climate au vote des actionnaires", souligne Nathalie Lhayani. Il s’agirait d’un vote consultatif pour le HCJP, mais "si une forte majorité se dégage, il faudrait que le management en tienne compte", poursuit la présidente du FIR.

Mais le FIR veut aller encore plus loin et que le dépôt de résolution externe soit facilité. "Cela permettrait de compléter le Say on climate et, plus largement, de questionner la stratégie climat des entreprises", confie Nathalie Lhayani. En janvier 2023, l’Af2i (association des investisseurs institutionnels) et une quinzaine de sociétés de gestion menées par Phitrust faisaient également des recommandations au ministère de l’Économie pour assouplir les règles du dépôt de résolution. Le FIR préconise ainsi un abaissement du seuil de détention de capital nécessaire, un allongement des délais pour soumettre une résolution ou encore la possibilité pour une coalition d’au moins 100 investisseurs de déposer une résolution à caractère environnemental et social. 

Autant d’éléments qui suscitent la méfiance des représentants des entreprises. Ils craignent qu’on ne leur impose une obligation de résultat, quand ils préfèreraient se limiter à présenter les moyens qu’ils mettent en œuvre. "Il y a trop d’incertitudes, notamment sur les évolutions technologiques à venir, mais aussi parce que des éléments échappent aux entreprises, notamment sur leur scope 3", estime un porte-parole de l’Afep. 

L’évolution de la réglementation européenne

L’évolution de la réglementation européenne mettra-t-elle fin au débat ? La directive sur le devoir de vigilance (Corporate sustainability due diligence directive) sur laquelle le Parlement européen est en train de travailler, semble justement vouloir mettre en place une obligation de moyen pour les entreprises. L’article 15 du projet législatif prévoit que les entreprises "adoptent un plan pour garantir la compatibilité de leurs modèles et de leurs stratégies économiques avec la transition vers une économie durable et avec la limitation du réchauffement climatique à 1,5°C conformément à l’Accord de Paris". Une disposition que les grandes entreprises rejettent fermement.

La directive sur le reporting de durabilité des entreprises (CSRD, Corporate sustainability reporting directive), dont le début d’entrée en vigueur est prévu pour 2024, devrait quant à elle apporter de nouvelles informations, plus comparables aux investisseurs. L’Afep estime même que les rapports ESG issus de la CSRD fourniront suffisamment d’informations et permettront "d’assécher les Say on climate".

Pas si sûr. "Cela va permettre d’y voir plus clair et de mieux comparer, concède la présidente du FIR. Mais cela n’implique pas que l’entreprise s’aligne sur une trajectoire de limitation du réchauffement climatique à 1,5°C. Or il est de notre responsabilité d’investir dans des entreprises alignées sur ces objectifs". En mars 2022, en amont de la saison des assemblées générales, le FIR et une trentaine de sociétés de gestion avaient signé une tribune appelant les entreprises à soumettre au vote leur stratégie climatique. Alors que le débat se fait de plus en plus houleux sur le sujet, les investisseurs pourraient cette année encore publier un appel au Say on climate dans les prochaines semaines.■


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