Teleperformance doit son naufrage boursier à l’alerte sociale lancée par la Colombie

Le ministère du travail colombien a annoncé vouloir ouvrir une enquête sur les conditions de travail des 42 000 salariés du groupe dans le pays. , @capture d'ecran Viméo

L'ACTU

Teleperformance doit son naufrage boursier à l’alerte sociale lancée par la Colombie

Par  Anne-Catherine Husson-Traore | Publié le 24/11/2022

La modération du réseau social Tiktok effectuée par les salariés colombiens de Teleperformance, entreprise du CAC 40 spécialiste des centres d’appel, est au cœur d’une controverse qui lui coûte très, très cher. Elle a perdu 35 % de sa valeur, soit plus de 5 milliards d’euros, le 10 novembre quand le ministère du Travail colombien a annoncé vouloir ouvrir une enquête sur les conditions de travail des 42 000 salariés du groupe dans le pays. Depuis, la tendance baissière se poursuit et Teleperformance tente de rétablir la confiance.

C’est l’histoire d’une entreprise du CAC 40, Teleperformance, dont le PDG, Daniel Julien, est dans le trio de tête des dirigeants les mieux payés de l’indice avec plus de 17 millions d’euros en 2021 dont 2,2 millions de rémunération fixe. Teleperformance qui a perdu 35 % de sa valeur boursière (5 milliards d’euros) en quelques heures le 10 novembre parce que le ministre du Travail colombien a publié un tweet, en espagnol, expliquant qu’il allait ouvrir une enquête sur les conditions de travail des 42 000 salariés du groupe dans le pays (10 % de ses effectifs). 

L’entreprise, multinationale entrée au CAC 40 en 2020, et son dirigeant sont peu connus du grand public, ce qui a limité l’impact médiatique de l’affaire en France. Elle fait suite à une enquête du Time révélant les conditions de travail des modérateurs colombiens de Tiktok. Elle met en avant les souffrances psychiques générées par leur mission : visionner les vidéos les plus traumatisantes pour éviter qu’elles parviennent aux 100 millions d’abonnés sud-américains du réseau.

Selon les auteurs de l’enquête, Teleperformance refuse de prendre en charge ces troubles de santé mentale considérant qu’elles relèvent du système sanitaire colombien. Les journalistes expliquent que pour l’entreprise, "il est beaucoup plus cher de développer une intelligence artificielle adaptée à la vidéo que d’utiliser une main d’œuvre mal payée et dans une situation précaire pour analyser ce type de contenus". 


900 vidéos visionnées par jour

Le rythme de travail est très intense. L’objectif donné par Teleperformance serait de visionner 900 vidéos par jour en consacrant 15 secondes à chacune pour 254 dollars par mois. Il est possible d’en gagner 60 de plus, mais à condition de se priver de toute pause pour augmenter la cadence de visionnage. Si les modérateurs ne tiennent pas le rythme, ils reçoivent une sorte de carton rouge qui les pénalisent dans la durée. L’article du Time dénonce enfin les pratiques antisyndicales de l’entreprise portées devant les tribunaux par le syndicat colombien Utaclaro, avec le soutien du puissant syndicat UNI.

À tout cela, Teleperformance oppose une communication de crise lapidaire avec deux communiqués de presse. Dans le premier, il explique le 17 novembre "se retirer du segment le plus offensant de sa modération de contenus" et rappelle sa sélection dans le CAC40 ESG. Image 7, en charge de ses relations publiques, réaffirme que l’entreprise bénéficie "d’un ensemble de notations favorables délivrées par les meilleures agences ESG". Elle reconnait être "exposée à des controverses résultant souvent d’une mauvaise connaissance de ses métiers et de sa taille, plus de 420 000 employés dans le monde". Le second communiqué, en date du 22 novembre, annonce un partenariat avec One tree planted pour "participer activement à la reforestation de la planète". 

Teleperformance coche toutes les cases de la communication ESG à risque. Son dirigeant, Daniel Julien, affirme la main sur le cœur : "Nous soutenons depuis longtemps de nombreuses causes caritatives et environnementales partout dans le monde, et notamment au sein des communautés où nous vivons et opérons. Notre planète est précieuse, et nous devons tous la protéger pour les générations futures". En revanche, il ne donne aucun élément pour convaincre de la réalité des impacts positifs, environnementaux et sociaux, de ses activités alors qu’il affronte une controverse qui a coûté plus d’un tiers de sa capitalisation à l’entreprise. 

Un parallèle avec Orpéa rapidement fait

Si l’affaire a eu autant d’impact sur les investisseurs et en particulier ceux qui font de l’ESG, c’est parce que beaucoup d’entre eux craignent une réplique d’Orpea (-92 % depuis janvier 2022, date de sortie du livre de Victor Castanet "Les Fossoyeurs" qui a révélé le scandale, 9 milliards d’euros de dettes, deux fois son chiffre d’affaires). Leur panique a déclenché la catastrophe boursière. Le parallèle entre Orpéa et Teleperformance au prisme du risque de la notation ESG a été rapidement fait.

En gros, elle ne permet pas d’identifier des risques majeurs portant sur les activités d’une entreprise donnée que ce soit le Dieselgate pour Volkswagen ou la maltraitance des personnes âgées pour Orpea. Si les entreprises communiquent bien, elles peuvent masquer grâce à ces notations des risques. C’est le cas de Teleperformance dont les problèmes sociaux sont anciens. Ses métiers, les centres d’appel, la gestion des relations clients et la modération de plateformes, concentrent des conditions de travail et de rémunération problématiques. En 2019, l’entreprise a été attaquée pour non-respect de son devoir de vigilance par l’association Sherpa et le syndicat UNI. 

En mars dernier, le syndicat a publié un rapport sur Téléperformance l’accusant de socialwashing à travers l’utilisation du label "Great place to work" pour dissimuler ses très mauvaises pratiques sociales : heures de travail non payées qui équivaudraient à 10 millions d’euros par an, mauvaises conditions de travail partout dans le monde avec des postes pas du tout ergonomiques. Le document souligne que Teleperformance est sans doute "l'un des plus grands employeurs de télétravailleurs au monde". Cela a fait la fortune de son dirigeant mais à un prix élevé pour ses salariés. 

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