CSRD : "Le risque, c'est de réduire les normes et standards uniquement au climat", Pascal Durand

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CSRD : "Le risque, c'est de réduire les normes et standards uniquement au climat", Pascal Durand

Par  Arnaud Dumas | Publié le 19/04/2023

Pascal Durand, député européen (Alliance progressiste des socialistes et démocrates) rapporteur de la CSRD, s’inquiète de l’application de la directive sur le reporting ESG des entreprises. L’acte délégué que doit publier la Commission européenne pourrait réduire les ESRS (standards de reporting) au climat, en oubliant les droits humains, la biodiversité, etc. Interview.

La directive sur le reporting durable des entreprises (CSRD) a été adoptée en décembre dernier. Vous craignez désormais que son acte délégué en réduise la portée ?

Nous avons voté la CSRD au Parlement européen, revue en trilogue et nous sommes arrivés à un compromis proche de ce qu’on souhaitait mettre en place. C’est un progrès important, qui va permettre aux investisseurs, aux ONG et au reste de la société civile d’avoir accès à un rapport extra-financier. Le fait d’avoir un texte contraignant, avec des normes et standards obligatoires, est donc très important. On entre dans une rigueur du reporting qui est comparable à celle pratiquée sur les informations financières, aussi bien en termes de données qu’en termes de contrôle. Tout repose désormais sur la qualité et la définition des normes et standards définis par l’Efrag (groupe consultatif sur les informations financières et extra-financières). Des entités comme Business Europe l’ont compris et sont vent debout contre ces standards.

J’ai mis en place un groupe de liaison avec tous les rapporteurs des groupes politiques du Parlement, pour suivre le travail fait par l’Efrag et garder la liaison avec la Commission européenne sur le sujet. Nous sommes également en contact avec l’ISSB, dont le siège est à Francfort. Aujourd’hui, le risque que l’on voit venir, c’est de réduire les normes et standards uniquement au climat, car c’est un sujet suffisamment avancé et qui a déjà un impact réel sur les entreprises. On entend en revanche des voix s’élever contre l’intégration de standards sur les autres secteurs, comme les droits humains et la biodiversité, en expliquant qu’il n’y a pas de consensus, que le sujet n’est pas mûr, etc. Or il faut mener de front tous les sujets : climat, droits humains, pollution, biodiversité,... C’est la spécificité européenne par rapport au reste du monde !

Des organisations patronales disent qu’il y a trop de normes, que le reporting CSRD sera trop complexe ?

C’est faux. Ces mêmes entreprises disaient la même chose sur les bilans financiers, parce qu’ils étaient trop technocrates et les exposaient à leurs concurrents. Nous demandons juste de fournir un tableau de bord sur les critères ESG, qui servira aussi bien aux entreprises qu’aux investisseurs. Ne pas collecter ces données, c’est risquer de se mettre en incapacité d’être une entreprise durable, d’avoir accès aux financements et de ne pas donner aux consommateurs les informations qu’ils demandent. Communiquer un plan de transition, ce n’est pas de la bureaucratie, mais une information vitale pour l’avenir de l’entreprise !

Certains agitent un chiffon en disant que les rapports extra-financiers seront trop long, donneront trop de travail aux entreprises. C’est d’une mauvaise foi absolue ! Une grande partie des entreprises n’auront pas à remplir toutes les données. L'Efrag a proposé douze projets de standards ESRS, comportant des obligations d’information qui chacune sont divisées en point de données détaillées. D’après certaines analyses, 60% des points de données ne sont pas obligatoires. En tout, un quart des points de données sont quantitatifs, le reste étant qualitatif. Il n’y a donc pas d’inquiétude à avoir.

La Commission européenne a néanmoins demandé de simplifier les normes. Comment cela va-t-il se passer ?

L’Efrag est allé au bout de la démarche que lui avait demandée la Commission européenne et a produit les normes et standards sur tous les sujets. Suite à une consultation publique, il a déjà réduit de 40% les obligations d’informations par rapport à la première version et de 50% les points de données, et cela a été validé par le conseil de durabilité de l'Efrag.

Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, veut cependant simplifier et réduire les normes soit sur un principe "one in, one out", c’est-à-dire que pour chaque nouvelle norme il faut en retirer une ancienne, soit en réduisant de 25% le volume de normes. Mais elle ne dit pas quelles normes sont visées. 

Il y a donc à mon sens trois hypothèses. Si la CSRD est considérée comme un nouveau texte, il n’y a pas à y toucher et c’est ailleurs qu’il faut retirer des normes. Autre hypothèse, on retire 25% des normes dans tout le texte, donc on élague en allant moins loin dans la granularité de ces normes. Cette hypothèse, nous arriverions à vivre avec. Enfin, une troisième hypothèse contre laquelle je me bats, consiste à considérer que le climat constitue le gros bloc de normes et que l’on retire tout le reste. Il s’agirait alors d’un acte délégué qui, sous pression des lobbys, réduirait l’ambition initiale de considérer comme un ensemble tous les piliers de l’ESG.

Je ne peux pas actuellement quantifier ce risque. D’après les réunions du groupe de liaison, la DG Fisma, en charge du texte à la Commission européenne, est sur la même ligne que nous, donc la deuxième hypothèse. 

Quel est désormais le calendrier pour ces normes et standards ?

Pour l’instant, nous attendons l’acte délégué. La prochaine échéance est le 30 juin pour son adoption par la Commission européenne. Puis s’ouvrira une période de quatre mois pendant laquelle le Conseil et le Parlement européen peuvent faire objection au texte. Il y a donc le risque, soit que le texte soit moins ambitieux et que nous soyons obligés d’accepter un texte moins-disant sur le reporting ESG des entreprises. Soit, si l’acte délégué est complet, qu’une majorité de députés se coalise contre le texte et y fasse objection. Je crois moins à cette objection car le vote sur la directive CSRD a été remporté avec une majorité claire.■


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