Emmanuelle Mourey, présidente du directoire de La Banque Postale Asset Management , @LBPAM
PEOPLE
"Être un acteur engagé a encore plus de sens qu’avant", estime Emmanuelle Mourey de La Banque Postale AM
Notez-vous des différences entre la crise du Covid-19 et les crises précédentes ?
Nous aurions pu nous attendre à des mouvements de retraits beaucoup plus massifs. Or cela n’a pas été le cas, notamment dans le segment de la clientèle retail. Côté corporate, des retraits importants ont eu lieu, les fonds monétaires auront payé leur écot. Mais il y a eu des réinvestissements ensuite car les clients ont réussi à trouver des sources de financement.
Le décrochage massif du marché que nous avons constaté n’a donc pas été trop fort. Schématiquement, deux tendances se sont succédé : une chute brutale des marchés, puis une stabilisation, tendance dans laquelle nous nous situons actuellement. Les actions des banques centrales de même que les mesures massives des différents gouvernements ont permis de contenir et apaiser les marchés.
Les fonds durables ont-ils malgré tout été plus résilients ?
Oui, les fonds ISR ont ici encore témoigné de leur grande résistance. Cette tendance, nous la constatons en réalité depuis plusieurs années. Les fonds qui résistent le mieux à la crise sont les mêmes fonds durables qui surperformaient déjà en période haussière. Au-delà des débats académiques qui ont toujours existé, je crois que les liens entre ISR et performance sont actuellement démontrés.
Nous avons d’ailleurs reçu récemment trois prix par Climetrics pour nos choix de sous-jacents d’entreprises capables de lutter contre le réchauffement climatique. Ces fonds affichent des performances excellentes ! C’est pourquoi chez LBPAM, l’ISR est le pilier de notre stratégie. Nous travaillons pour rendre notre gamme 100 % ISR en 2020, comme nous l’avions annoncé. Contrairement à certains acteurs du monde public ou privé qui, au nom de la reprise économique, veulent faire fi des enjeux extra financiers, cette crise renforce nos convictions. Être un acteur engagé a encore plus de sens qu’avant.
Croyez-vous en une relance économique plus durable ?
Ce serait une grave erreur de baisser nos seuils d’exigence au prétexte de faciliter le redémarrage des entreprises. Lever le pied sur l’objectif d’un réchauffement limité à 1,5 degré me paraît une double aberration écologique et économique.
Mais de même que nous devons tenir le cap climatique, méfions-nous du gloubi-boulga médiatique. En effet, ces derniers mois, déjà avant la crise, on a assisté à une surenchère de déclaration d’entreprises et établissements financiers vendant "plus vert que vert". J’ai l’impression que nous en venons à galvauder le sens de l’investissement durable. Il y a un risque majeur de perdre l’investisseur dans ce foisonnement de déclarations, car les faits et les résultats de demain pourraient ne pas être à la hauteur des déclarations.
Chez LBPAM, nous sommes persuadés que la dispersion au gré du vent est délétère. Nous restons concentrés sur le temps long et la conversion de l’économie pour un monde durable, avec nos deux chevaux de bataille que sont le climat et les territoires.
La crise du Covid-19 montre par exemple que tous les territoires ne sont pas servis de la même façon, notamment pour l’accès à internet. Comment faire pour investir dans les territoires tout en gardant les enjeux de durabilité ? C’est ce sur quoi nous travaillons, avec notamment l’ambition de lancer un nouveau fonds infrastructure fin 2020.
Vous craignez une forme de greenwashing ?
Il est temps d’harmoniser les discours sur le côté durable. L’ESG est une tour de Babel en termes de linguistique. Derrière des mêmes mots, tout le monde y met quelque chose de différent. Il n’y a de cohérence ni entre les pays, ni entre les acteurs. C’est un gros problème de l’industrie.
Le risque, c’est que des acteurs économiques parlent du réchauffement climatique uniquement parce qu’il serait mal perçu de ne plus le faire. Mais il ne faut pas confondre les ambitions et les plans d’exécution. C’est un peu le sujet de la résolution d’actionnaires minoritaires, dont nous faisons partie, présentée à l’assemblée générale de Total. Il est louable qu’un groupe pétrolier comme Total ait des ambitions sur son empreinte climatique, et nous nous en réjouissons. Mais en tant que gérant d’actif, nous avons besoin de détails. Comment le groupe entend atteindre ces ambitions ? C’est précisément le rôle d’un gérant d’actifs que de rappeler cette obligation de résultats aux entreprises dont il est actionnaire.
Comment les épargnants peuvent-ils s’y retrouver ?
C’est un grand sujet. Quand on explique la différence entre les scopes 1, 2 et 3, on les perd ! Le problème, c’est que soit on reste dans le domaine du jargon, soit on vulgarise trop. Entre les deux, il faut déterminer le bon dosage.
Aujourd’hui, nous avons le public : de plus en plus d’épargnants veulent investir de manière responsable. C’était déjà le cas avant la crise du Covid-19. Les chiffres de collecte de 2019 en témoignent. Depuis, l’investissement durable a eu un écho encore plus particulier. La collecte Retail s’est faite exclusivement sur des produits ISR.
Nous avons devant nous un double défi de pédagogie. D’abord en harmonisant nos règles. Dans l’esprit des particuliers, ESG, ISR, engagement, impact… tout cela se confond. Ensuite, en simplifiant la façon de présenter nos produits. Le discours commercial mais aussi la lisibilité des offres sera décisive.