Karsten Löffler dirige le Frankfurt School-UNEP Collaborating Centre for Climate & Sustainable Energy Finance, et co-préside le Sustainable Finance Committee of Germany. , @DR
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"L’Allemagne doit passer de la parole aux actes", Karsten Löffler, du Sustainable Finance Committee of Germany
Les Briefs Essentiel vous livrent, pays par pays, un état des lieux de la finance durable et dressent les perspectives d’évolutions des marchés nationaux. Premier pays de ce tour d’Europe, l’Allemagne (à retrouver dans notre section Briefs Essentiel).
Le Comité sur la finance durable que vous présidez vient de rendre son rapport au gouvernement fédéral. Quel était l’objectif de ce rapport ?
Karsten Löffler : Il faut que le gouvernement fédéral passe de la parole aux actes. Il a un rôle central à jouer pour transformer l’économie allemande, et pour cela il doit se conformer aux engagements pris au niveau international, tels que les Objectifs de développement durable, l’Accord de Paris, etc. Tout cela doit se traduire en réglementations.
Le gouvernement peut agir de plusieurs manières. Aussi bien au travers des entités financières qui lui sont liés comme les fonds de pension publics, mais aussi par l’émission d’obligations vertes et durables, par les garanties de crédit à l’export, les banques de développement, ou encore au travers des solutions d’épargne publique, etc. Il faut aligner tous ces dispositifs de manière plus cohérente avec les objectifs climatiques.
Le comité a été créé par le gouvernement parce qu’il a décidé de faire de l’Allemagne l’un des leaders de la finance durable. Le comité est composé de membres divers, issus des entreprises, du secteur financier, de la société civile, du milieu académique, et des institutions comme KfW, l’agence de protection de l’environnement, la BaFin et la BundesBank sont des membres observateurs. Nous avons commencé à travailler en juin 2019, avec une approche holistique. Nous ne voulions pas être focalisé uniquement sur les produits financiers, mais plutôt appréhender l’écosystème financier en entier, qui prenne donc aussi en compte les liens de la finance avec les entreprises, l’éducation, la réglementation, etc.
Quel est le principal défi que les autorités allemandes doivent relever ?
Le Comité a identifié plusieurs objectifs principaux pour soutenir cette grande transformation. Le capital nécessaire peut être apporté par le secteur financier, mais pour cela, le secteur financier doit avoir accès à suffisamment d’informations liées à la durabilité, sur les risques, les opportunités et, idéalement, les impacts du changement climatique, afin de lui permettre à la fois de prendre des décisions de prêts ou d’investissement informées et de faire son propre reporting auprès du public et des autorités de supervision.
C’est la raison pour laquelle neuf de nos 31 recommandations portent sur la transparence du secteur non financier. Idéalement, cela permettrait d’étendre la directive NFRD (Non financial reporting directive). Il faudrait notamment étendre le scope des obligations de reporting pour inclure les PME, mais aussi faire en sorte de centraliser ces informations.
La Commission prévoit justement de réformer la NFRD. Vous souhaitez prendre les devants ?
Il y a souvent des discussions sur le fait de savoir s’il faut mettre en place des solutions nationales ou bien attendre celles de la Commission européenne. Idéalement, tout devrait se passer au niveau européen, ce serait plus facile. Jusque-là, l’Allemagne avait une approche plus réactive sur ce qui arrivait de Bruxelles. Le Comité de finance durable recommande d’avoir une approche plus active et, pour cela, il est important que l’Allemagne ait des propositions à faire. Il faut faire des essais au niveau national, et à partir de cette expérience, cela permet de faire des propositions plus fortes au niveau européen.
L’Allemagne est connue pour son niveau d’épargne élevé. Comment proposez-vous d’orienter cette épargne vers des produits durables ?
50 % des Allemands disent être intéressés par des produits d’épargne durable, mais dans les faits, 10 % franchissent le pas. Il y a donc un écart qui s’explique de différentes manières. Il y a d’abord la difficulté d’identifier ces produits et le fait qu’il faut qu’ils soient crédibles. Mais il s’agit aussi d’un marché dans lequel les vendeurs ont un rôle important à jouer, les conseillers financiers doivent donc monter en compétence.
Nous proposons une classification de tous les produits financiers basée sur les dispositions de la réglementation Disclosure sur la finance durable (SFDR), en étendant l’approche de l’impact (article 9) et des produits durables (article 8) à trois autres catégories. Ces catégories seraient les produits dangereux, neutres ou légèrement positifs. Il y aurait donc cinq catégories allant du moins soutenable au plu durable.
C’est une proposition assez controversée parce que cela s’ajoute à ce qui existe déjà, mais les praticiens disent que cela serait utile pour montrer aux clients les risques et les opportunités en matière de développement durable des produits financiers.
Nous recommandons aussi que les fonds de pensions du gouvernement prennent en compte des critères de durabilité minimums, et nous suggérons que les revenus de placements sur des produits durables soit défiscalisés.
Pensez-vous que le rapport du Comité rencontrera des résistances ?
Selon moi, il peut y avoir des inquiétudes de la part des PME sur les obligations de reporting supplémentaires. Mais, outre le fait que leur reporting ne sera pas forcément si complexe car elles disposent souvent déjà des données disponibles, elles seront de toute façon obligées d’y venir pour plusieurs raisons. Les établissements bancaires et les investisseurs vont de toute manière leur demander des données ESG, qu’elles soient prêtes ou non. Ensuite, elles font parties d’une chaîne de valeur dans laquelle de grands groupes vont aussi leur demander de reporter.
Le gouvernement travaille désormais à l’élaboration de sa stratégie de finance durable qui sera rendue publique dans les prochains mois. Puis, les élections nationales vont se tenir en septembre. Les partis politiques vont pouvoir s’inspirer du rapport et adopter des recommandations. Aujourd’hui, le Covid-19 domine tous les débats, mais la finance durable est un très bon moyen d’aligner les intérêts. Quand on parle de finance durable, on parle de la résilience du système financier mais aussi de toute l’économie. ■