Olivia Grégoire est la secrétaire d'État en charge de l'Économie sociale, solidaire et responsable auprès de Bruno Le Maire, ministre de l'Économie et des finances. , @Bercy
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"Les critères d’éligibilité et la gouvernance du label ISR ont vocation à devenir plus exigeants", déclare Olivia Grégoire, secrétaire d’État à l’Économie sociale, solidaire et responsable
Vous êtes en charge de l’Économie sociale, solidaire et responsable, avec un portefeuille passé du ministère de la transition écologique à celui des finances. Quel est votre périmètre ?
J’ai vocation à m’occuper, à animer et surtout mettre la lumière sur l’économie sociale et solidaire, qui peut être fière de l’originalité de son modèle entrepreneurial. La France a une tradition historique d’économie sociale depuis la fin du XIXe siècle. Il y a tout un écosystème qui se déploie à bas bruit, souvent avec peu de moyens, mais beaucoup d’idées et d’innovation. La loi dite "Hamon" en 2014 a posé des fondamentaux sur cette économie et j’ai vocation à accompagner et consolider cet écosystème qui, en 2020, est mature.
À un moment où le capitalisme financier est à bout de souffle, et connaît une crise qui ne date pas de la Covid mais de plusieurs années, j’ai promu l’idée auprès du président de la République que cette économie sociale et solidaire pouvait être source d’inspiration, par ses pratiques, pour le reste de l’économie. La première dimension du "R", de l’ESSR (Économie sociale, solidaire et responsable), c’est cette dimension de passerelle. Il s’agit de réunir, sans fusionner, une économie sociale et solidaire et un système économique qui a besoin de renouveler ses pratiques.
Les épargnants veulent de plus en plus donner du sens à leur épargne. Les labels financiers actuels sont-ils suffisants ?
Les labels financiers et particulièrement le label ISR (Investissement socialement responsable) ont été l’occasion de diffuser la finance durable auprès du grand public. Non seulement ils envoient un signal fort mais ils permettent également de flécher plus facilement l’épargne vers des priorités. On l’a vu avec l’exigence de la loi PACTE de proposer, début 2022, au moins un fonds labellisé pour toute souscription à un contrat d’assurance vie ou d’épargne retraite.
Les fonds ISR se développent rapidement. Il y avait plus de 500 fonds labellisés et plus de 200 milliards d’euros d’encours fin 2019. On voit même des investisseurs qui ont des stratégies de passage à 100 % de fonds labellisés. Le label ISR correspondait à une première étape, à une période où la finance durable en était à ses balbutiements. Nous avons demandé une évaluation du dispositif à l’Inspection générale des finances, dans la perspective d’une deuxième phase de développement. Les critères d’éligibilité et la gouvernance du label ISR ont par exemple vocation à devenir plus exigeants.
Par ailleurs, comme l’ESG devient un standard pour n’importe quel label financier, il y aura des exigences en la matière dans le label "relance", destiné à renforcer les fonds propres des PME dans le cadre de France Relance.
Vous comptez aussi sur la mesure de l’impact des investissements…
Ce qui est sûr, c’est qu’il y a un engouement des épargnants et des investisseurs sur l’enjeu de l’impact. Je pense qu’on doit contribuer à la consolidation et au rayonnement de la finance à impact française et européenne dans le monde. Je suis bluffée par la qualité des travaux de la recherche académique sur ces sujets en France. On en a besoin car il y a autant de définitions de l’impact que d’acteurs. Il faut donc se rassembler dans les prochains mois pour caractériser ce qu’on entend par impact : qu’est-ce qu’un impact environnemental ? Qu’est-ce qu’un impact social ? Comment on le quantifie et l’évalue ?
Est-ce la performance extra-financière des entreprises, également dans votre portefeuille, qui fait le lien ?
Sous cette appellation "ESSR", il y a la réunion de ces deux univers, ESS et économie classique, mais aussi la question de la responsabilisation du capitalisme, qui se fera notamment au moyen de la transparence sur la performance extra-financière des entreprises. Il n’est donc pas anodin que ce secrétariat d’État fasse partie du "grand Bercy". C’est le signe d’un portage politique ambitieux aux côtés de Bruno Le Maire, et c’est aussi un secrétariat d’État qui a un périmètre interministériel et j’ai vocation à promouvoir l’ESS auprès de l’ensemble de mes collègues au gouvernement.
La révision de la directive européenne sur le reporting non-financier est justement en cours. Quels en sont les enjeux ?
Il faut que la France, avec l’Europe, permette à des standards européens de performance extra-financière d’émerger, pour ne pas laisser ce sujet de souveraineté entre des mains extra-européennes. C’est en cours : les conclusions des groupes de travail doivent être rendues en janvier 2021, la Commission européenne doit mettre sur la table sa proposition de révision de la directive NFRD (Non-Financial Reporting Directive) au premier trimestre 2021, puis il faudra 12 à 18 mois de négociation pour qu’on dispose de référentiels environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) homogènes pour les entreprises européennes… mais aussi pour les entreprises mondiales qui viendraient vendre leurs marchandises et leurs services sur le marché intérieur, c’est un enjeu d’équité concurrentielle.
On doit aussi être offensifs et promouvoir en termes de produits, d’approches, un modèle européen de la finance durable. Il existe des standards américains, au sein du SASB (Sustainable Accounting Standards Board), ils sont redoutablement influents mais leurs critères ne sont pas interopérables. Je crois que l’Europe est capable d’imposer son référentiel et l’enjeu sera d’influencer, grâce à lui, la notation américaine des prochaines années. Il ne faut pas oublier que nous sommes, en Europe, le continent de l’ESG. ■