Caroline de la Marnierre, présidente de l'Institut du capitalisme responsable , @ICR
PEOPLE
"Les entreprises doivent rendre leur modèle de croissance plus inclusif", Caroline de la Marnierre, Institut du Capitalisme Responsable
L’Institut du Capitalisme Responsable publie le rapport sur le "Nouveau partage de la valeur". Vous estimez que l’entreprise est en danger ?
Non, l’entreprise n’est pas en danger de façon systémique ! Mais le partage de la valeur est une façon de lui redonner vie. Nous avons le sentiment qu’avec les crises successives, l’entreprise doit trouver une nouvelle forme de vie. Il faut qu’elle évolue de façon disruptive, qu’elle revoie la façon dont elle a construit sa croissance jusque-là afin de la rendre plus inclusive car il y a un rejet de plus en plus fort des inégalités dans la société.
Cela ne veut pas dire qu’il faut tout refaire, que tout est mauvais. Mais il y a beaucoup de pédagogie à conduire pour expliquer la façon dont l’entreprise construit de la valeur et la redistribue.
Comment cela se traduit-il pour les entreprises ?
Les entreprises ont fonctionné pendant longtemps exclusivement sur des indicateurs de mesure financière. Dans le cadre de notre rapport, nous avons auditionné une vingtaine de personnes issues d’horizons très éclectiques et, quand nous leur avons parlé de la valeur créée par l’entreprise, aucune n’a répondu exclusivement sur la rentabilité financière. Ces personnes auditionnées parlent au contraire de la valeur sociale, sociétale, de l’environnement, etc. C’est-à-dire de l’impact de l’entreprise sur son écosystème et de l’écosystème sur l’entreprise.
Aujourd’hui, nous commençons à identifier des métriques qui font sens et qui permettent de mesurer cet impact. C’est déjà le cas sur l’environnement, avec des indicateurs comme les émissions de gaz à effet de serre par exemple, et ce n’est qu’un début.
Mais c’est souvent la répartition entre salariés et actionnaires qui fait débat. Faut-il agir sur ce point ?
Nous ne souhaitons pas les opposer, ils ont le même intérêt à la pérennité de l’entreprise. Les salariés permettent de générer de la performance économique, qui sera en partie redistribuée aux actionnaires. Et les capitaux permettent aux entreprises d’investir et de se développer. Ces deux parties constituantes de l’entreprise ont leur utilité.
Aujourd’hui, la pratique des entreprises consiste à présenter la part du résultat qui sera affectée aux dividendes, et cela ne peut plus se poursuivre ainsi ! Nous recommandons que cette politique de distribution soit contextualisée avec des objectifs ESG. Par exemple, si l’objectif de réduction des émissions nécessite des investissements et que cela produit un effet sur le niveau de distribution des dividendes, il est important de le communiquer.
Il devient donc nécessaire de contextualiser la politique de distribution des dividendes pour que les parties prenantes puissent juger de sa pertinence. Il s’agit d’une forme de transparence synthétique, stratégique et prospective qui serait intéressante pour les investisseurs et les autres parties prenantes, pour avoir un débat équilibré sur les politiques de redistribution.
Vous parlez d’un "nouveau partage". En quoi est-il nouveau ?
Quand on parle de partage de la valeur, on le fait généralement au travers de trois prismes : la répartition entre salariés et actionnaires, l’écart de rémunération entre le dirigeant et les salariés, et les impôts. Et c’est tout, il n’y a jamais d’autre porte d’entrée.
Nous avons voulu aller plus loin car, à partir du moment où la raison d’être devient la boussole stratégique de l’entreprise, vous bousculez le modèle de création de valeur, donc de son partage. Si ce modèle intègre les enjeux sociétaux et environnementaux, le partage doit aussi les prendre en compte. Par exemple, quand une entreprise investit pour réduire ses émissions de CO2, il y a une forme de création de valeur pour la Société, qui bénéficie des effets de réduction des émissions de CO2.
La raison d’être incarne donc ce nouveau partage ?
Oui, tout à fait. Trois entreprises notamment sont en pointe sur le sujet, Atos, Engie et Veolia, et ont progressé sur la matérialisation de leur raison d’être. La raison d’être est souvent rapprochée des engagements RSE (Responsabilité Sociétale de l’Entreprise) exclusivement. Or il faut aller plus loin et inclure le volet financier dans la matérialisation de la raison d’être, car l’entreprise ne se développe pas si elle ne dégage pas de performance financière.
Il y a donc un important sujet à conduire sur l’articulation entre le rendement, les axes stratégiques et la raison d’être. Pour le moment, nous n’avons pas encore trouvé le chemin, c’est une question de temps.
Le jury des Grands Prix de l’Assemblée Générale et de la Mixité (GPAGM) animé par l’ICR recommande, pour la saison des AG, justement de rendre concrète la mise en œuvre des raisons d’être ?
En 2020, une trentaine d’entreprise du SBF 120 ont présenté leur raison d’être. Les membres du jury estiment qu’il ne faut pas en rester là, sinon ce mouvement sera taxé de "mission-washing", ce qui serait désastreux. Les entreprises gagneraient considérablement à expliquer comment elles implémentent leur raison d’être. Elles doivent l’incarner avec des engagements, des indicateurs clés de performance et l’articuler avec des critères ESG. Il s’agit de la matérialisation de la raison d’être, qui ne doit pas être occultée. Nous serons très vigilants sur ce point.
Le jury s’inquiète aussi de l’impact de la crise du Covid-19 ?
À l’unanimité du jury, nous avons déclaré qu’une Assemblée Générale ne pouvait pas faire l’impasse sur l’impact de la crise sanitaire sur le business, mais aussi sur les transformations que cela implique. Les différentes crises, sanitaire, économique et sociale, provoquent des accélérations de tendances et produisent – par voie de conséquence - un effet sur le rythme de la transformation des entreprises. Ce sujet méritera donc d’être au cœur de nos Assemblées Générales. ■
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