Pascal Canfin est député européen membre du groupe Renew Europe et président de la commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire. , @PE
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Pour respecter le climat, la BCE devrait abandonner la neutralité de marché, selon Pascal Canfin
Pourquoi la question de la neutralité de la Banque centrale européenne est-elle une question politique ?
Lors de sa prise de poste Christine Lagarde a assuré qu'elle allait verdir la Banque centrale européenne et aligner ses activités avec l'Accord de Paris. Sous son leadership, un débat a enfin été lancé sur la question de savoir si et comment la Banque centrale européenne devrait jouer un rôle dans le soutien des objectifs de l'Union européenne en matière de climat et d'environnement.
Christine Lagarde a également annoncé plus récemment que le changement climatique est une menace pour la stabilité financière et que la BCE devait apporter des réponses, dans sa revue stratégique prévue pour Septembre 2021. Une des pistes évoquées, et soutenue par de nombreux acteurs de la société civile, est la sortie du principe strict de neutralité de marché, qui implique que le BCE ne discrimine pas de secteur spécifique, même face au risque que le changement climatique fait peser sur certains.
Cela fait grincer des dents dans certains États membres, notamment l'Allemagne, où l'on continue de penser que le changement climatique est la tâche des gouvernements pas de la BCE. Je considère, comme Christine Lagarde, que contribuer à diminuer le risque climatique c’est aussi contribuer à la stabilité financière. C'est une bataille doctrinale qui s'est engagée.
Quelles seraient les conséquences concrètes, et sur quels secteurs, d’une orientation de l’intervention de la BCE en faveur du respect de l’Accord de Paris ?
En respectant le principe de neutralité de marché, la BCE contribue automatiquement au changement climatique. Aujourd'hui, dans la pratique, le principe de neutralité de marché est mis en œuvre par la BCE en achetant des obligations des entreprises dans la même proportion que leur part de marché de l’univers côté, ce qui conduit en fin de compte à investir plus dans les secteurs polluants puisque les secteurs cotés (énergie, transports...) sont les plus émetteurs de CO2.
Sortir de ce principe, qui n'est pas une obligation légale pour la banque mais une pratique bien ancrée, c'est donner les moyens à la BCE de progressivement réduire les achats des titres financiers de secteurs qui sont nuisibles à la lutte contre le changement climatique et l'environnement. Pour définir quels secteurs devront être couverts, la BCE pourra utiliser la taxonomie, la nouvelle grammaire européenne différenciant les activités vertes et celles nécessaires à la transition écologique de celles qui ne le sont pas. Si la BCE introduit ce "filtre climat" cela augmentera nécessairement les risques associés à la détention des titres très "anti climat" puisque, par exemple, il sera plus difficile pour une banque de déposer ce titre en dépôt à la BCE. Ce qui diminuera la liquidité de ce titre financier et donc augmentera son risque et son coût.
Qu’est ce qui est le plus puissant en termes de réorientation des flux financiers, une orientation climat de l’action de la BCE ou le plan d’action sur la finance durable de la Commission ?
Les deux évidemment. Le nouveau plan d'action sur la Finance Verte de la Commission doit permettre de déployer un cadre législatif favorable au niveau européen à la mobilisation de flux financiers massifs en faveurs des technologies et solutions permettant la transition pour atteindre nos objectifs européens climatiques et environnementaux. Ce nouveau plan d'action sera multidimensionnel, car il doit prendre en compte les finances publiques, le secteur financier, les institutions telles la Banque européenne d’investissement (BEI) ou la BCE, mais aussi le très sous-estimé potentiel de l'épargne verte pour financer la lutte contre le changement climatique. La BCE sera donc un des acteurs clé de la mise en place de cette nouvelle Stratégie.
Et d'ailleurs la BCE n'a pas attendu car elle a annoncé en novembre 2020 que toutes les banques de la zone euro devront stress tester leur exposition au risque climatique au plus tard en 2022. Cela va sérieusement accélérer la compréhension du risque climat et va mettre la pression sur les banques, car seules 3 % le font correctement aujourd’hui. ■
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