Reporting ESG : "nous sommes entrés dans la phase de normalisation", déclare Julien Rivals, de Deloitte

Julien Rivals, associé responsable des services "Sustainability" chez Deloitte , @Deloitte

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Reporting ESG : "nous sommes entrés dans la phase de normalisation", déclare Julien Rivals, de Deloitte

Par  Novethic, Arnaud DUMAS | Publié le 14/12/2021

Le reporting ESG prend du galon ! L’année 2021 marque les débuts de la normalisation de la donnée ESG, selon Julien Rivals, associé responsable des services en "Sustainability" chez Deloitte. Signe du changement, les directions financières des entreprises prennent désormais le sujet à bras le corps.

Les réglementations issues du plan d’action européen sur la finance durable vont commencer à entrer en vigueur. Quels sont les enjeux de leur mise en œuvre ?

La principale difficulté, c’est que ce dispositif se construit en même temps qu’il se met en place, avec des actes délégués qui arrivent progressivement et trois textes clés qui avancent en parallèle et à leur rythme (Taxonomie, SFDR, CSRD). Mais 2021 restera bien comme l’année où l’on a structuré le socle du reporting ESG et climat pour les décennies qui viennent. Il y a eu une période de vingt ans pendant laquelle on a gagné en expérience et testé des législations sur le reporting en Europe (NFRD) et en France, avec la loi NRE (Nouvelles réglementations économiques), Grenelle 2, puis la DPEF (Déclaration de performance extra-financière). Il y a aussi eu de nombreux référentiels volontaires créés au niveau mondial (GRI, TCFD, SASB…). En 2021, après cette phase d’expérimentation, on est passé à la deuxième phase qui est celle de la normalisation et de la connexion à la finance. C’est le cas en Europe, mais il ne faut pas oublier les récentes communications de la SEC (Securities and Exchange Commission) aux États-Unis qui, pour la première fois cette année, a dit aux émetteurs que les informations matérielles relatives au climat notamment ont leur place dans les états financiers.

Dans cette deuxième phase, ce sont désormais les acteurs de la standardisation comptable qui prennent la main : l’EFRAG en Europe avec une approche de double matérialité et l’IFRS au niveau international avec une approche de matérialité financière. En termes d’impact sur les entreprises et les investisseurs, leur implication change tout en termes de crédibilité. La normalisation va aller relativement vite, car une course de vitesse à celui qui proposera le premier standard est lancée. Ce qu’il faudra suivre, c’est le niveau de détail qu’ils proposeront. En tant que praticien, je m’attends un niveau de standardisation assez fin qui permette la comparabilité des performances ESG réclamée par les parties prenantes, et non pas seulement de grands principes de reporting.

Les entreprises sont-elles prêtes ?

Il y a une particularité française. La CSRD (reporting ESG) est en partie une mise à niveau du reste de l’Europe sur les exigences existantes en France, selon lesquelles les informations sur la durabilité sont précisées, présentées dans le rapport de gestion et vérifiées par un tiers. Un tel niveau d’exigence n’existe qu’en France. Pour les entreprises déjà concernées par la DPEF, il s’agira d’une évolution, d’un renforcement significatif, comme les éléments relatifs au climat, mais globalement elles s’y préparent activement et partent avec un bon niveau de maturité.

Mais la CSRD va aussi élargir le champ d’application du reporting ESG, par exemple aux SAS, aux entreprises de 250 à 500 salariés et aux sociétés cotées de plus de 10 salariés. Pour ces nouveaux entrants en revanche, cela sera peut-être un choc et ils me paraissent beaucoup moins préparés de ce qui les attend et la marche à franchir risque d’être plus conséquente. En ce qui concerne la taxonomie, c’est une grande nouveauté pour tous et les entreprises se préparent, non sans certaines difficultés et questionnements.

Comment est-ce que cela transforme l’organisation des entreprises ?

La nouveauté est la mobilisation des directions financières qui, avant, n’intervenaient pas ou très peu sur ce sujet de reporting qualifié alors "d’extra-financier". Le déclencheur le plus net, c’est la taxonomie européenne qui impose de publier des ratios financiers verts, exprimés en part de chiffre d’affaires, de capex et d’opex. Au-delà du réglementaire, les attentes croissantes des investisseurs et banques, la monétarisation des impacts, le besoin de financer la transition, etc., vont clairement nécessiter l’implication accrue des directions financières.

Elles vont devoir également être beaucoup plus attentives au pilotage de la performance ESG car celle-ci aura des conséquences financières assez directes, sur le coût du capital ou les bonus versés par exemple. On constate en effet dans notre dernière étude annuelle sur le reporting ESG pour le compte du MEDEF que les produits financiers "durables" (green bonds, sustainability-linked loans, etc.) se développent fortement, tout comme l’intégration de critères ESG dans la rémunération des dirigeants.

Cela leur impose-t-il d’acquérir de nouvelles compétences ?

Le défi principal sera celui des talents et de la formation pour disposer de personnes compétentes sur ces sujets dans les entreprises ; ce qui d’ailleurs est aussi vrai pour les investisseurs, les consultants ou les auditeurs. Mais l’enjeu sera aussi de repenser les collaborations internes et d’adapter les outils de reporting.

En ce qui concerne la taxonomie par exemple, je dirais que 80 % des compétences nécessaires relèvent des directions financières (normes comptables applicables, activités éligibles, communication financière, etc.) qui devront collaborer avec les directions développement durable sur les aspects techniques (caractéristiques "vertes", évaluation des impacts, etc.). Mais le challenge à venir sera de pouvoir extraire de la comptabilité les informations requises, pas prévues par les systèmes d’information actuels.

En ce qui concerne le suivi de la performance ESG, et notamment la détermination et le suivi des trajectoires climatiques, les connaissances vont effet devoir être renforcées. Mais là encore, bâtir les bons dispositifs de mesure de la performance et disposer d’éléments en temps réel (et plus seulement en fin d’année) posent la question des collaborations internes entre départements concernés et des systèmes d’information à adapter. Bref, il ne s’agit pas seulement de former, mais de transformer. ■

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