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Tribune : Finance durable, le temps de la stratégie, par Grégory Schneider-Maunoury
Il est grand temps pour les sociétés de gestion de se réapproprier la question de la durabilité, au-delà des précisions réglementaires encore attendues. Depuis bientôt trois ans, l’ISR se trouve pris dans une double contrainte : une réglementation croissante et de nouvelles données. Chaque mois, une nouvelle précision réglementaire ou une nouvelle série de données rythme le programme des équipes ISR. Pire encore, chaque semaine, un nouvel expert donne son interprétation du triptyque : réglementation, conformité, données. Ces interprétations sont sympathiques mais elles ont tendance à repousser les décisions des sociétés de gestion et, à l’intérieur des sociétés de gestion, les équipes ISR (tant dans la gestion que dans l’analyse) se sentent dépossédées du sujet par les juristes, les data analyst, les consultants data et les équipes de conformité et contrôle interne.
En passant en revue trois raisons de cette distanciation, cet article propose un chemin pour que chaque société de gestion puisse construire son parcours vers une durabilité acceptée de tous.
1 - La lente définition du développement durable
Ce concept est au départ est un compromis élaboré en 1987. Il a ensuite été substantié par les Objectifs de Développement Durable (ODD : 17 objectifs, 230 indicateurs). La référence à ces indicateurs peut paraître difficile car ces indicateurs sont d’abord macro-économiques, définis au niveau des États. Mais les nombreux travaux menés avant les ODD (mesure de l’impact) et depuis (limites planétaires, indice multidimensionnel de pauvreté), permettent de déterminer des indicateurs de développement durable adaptés aux entreprises, si tant est qu’une stratégie d’investissement est définie : quels sont les ODD auxquels la société de gestion souhaite contribuer ? Quels ODD sont concernés par le développement des entreprises et projets investis ?
2 - La transformation de la donnée
La réglementation européenne de la finance transforme en effet la donnée de durabilité. Partant du constat de l’inadéquation des scores ESG avec les enjeux du développement durable, la Commission européenne a d’abord souhaité transformer la définition de la RSE des entreprises. À travers la taxonomie, la réglementation demande à la RSE des entreprises de répondre aux questions "quel objectif ? (quoi ?)" et "quand ?", plutôt qu’aux traditionnels "oui ou non ?" et "comment ?". Cette révolution conceptuelle de la RSE entraîne un bouleversement total pour les agences de notation, et en aval, pour leurs clients, puisque les questions posées, et donc les réponses, sont différentes.
Ce changement réglementaire induit une plus grande prise en compte des données brutes et de toute donnée permettant d’évaluer l’atteinte par l’entreprise d’un objectif environnemental (appelé contribution substantielle dans la taxonomie verte) ou d’un seuil minimal (appelé DNSH dans la taxonomie verte). Cette structuration et ce tri des données précisent la double question de la section précédente : Quels sont les objectifs environnementaux et sociaux de la gestion de ce fonds ? Quels sont les niveaux minimaux que ce fonds vise sur les autres dimensions environnementales et sociales ? Quelles sont les données nécessaires pour évaluer cela ?
3 - L’urgence de la crise climatique
Le développement durable parlait en termes vagues des générations futures. La crise climatique n’est aujourd’hui plus un lointain problème de "générations futures". C’est le problème de nos enfants, qui dès 2040 devront faire face à des modifications des conditions de vie. Face à cette urgence, la réglementation se lance dans des exigences qui, si elles sont pertinentes pour des grandes entreprises polluantes, le sont beaucoup moins pour des petites sociétés porteuses de solutions technologiques.
Quelques 200 sociétés de petite et moyenne capitalisation pourraient être alignées à la taxonomie, étant donnée leur contribution substantielle. Elles ont été créées récemment pour la plupart et sont centrées sur le développement d’une technologie nouvelle (solaire, éolien, batteries mais aussi éco-matériaux). Mais ces sociétés sont aussi des fournisseurs clés de grandes sociétés (portes et fenêtres dans la construction, bioplastique dans la chimie). Ce sont des sociétés qui ont su développer des produits verts qui peuvent être une véritable alternative aux produits existants (matériaux verts pour la construction). Si ces sociétés représentent effectivement une stratégie industrielle pour l’Europe, leur accompagnement vers l’alignement taxonomie prend tout son sens pour les investisseurs responsables et la finance durable.
Là encore, l’esprit de la loi doit l’emporter sur la lettre (plans de transition net zero) et les investisseurs européens doivent répondre aux questions suivantes : ces sociétés sont-elles des vestiges déjà dépassés par la technologie chinoise ? Ou bien portent-elles les solutions, notamment dans la gestion des externalités, que n’ont pas trouvé les leaders chinois de la voiture électrique par exemple ? Dès lors, doivent-elles être financées ?■
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