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Tribune : six mois avant la COP28, où en est-on du financement des énergies fossiles ?
Le financement de nouveaux projets d’énergies fossiles est au cœur de l’actualité. Début mars 2023, 37 ONG ont transmis une lettre au directeur de la Net Zero Banking Alliance, lui rappelant le besoin impérieux pour ses membres de s’engager à ne plus fournir de services financiers au développement de nouvelles infrastructures gazières au Texas [1]. Le 20 mars 2023, c’est le GIEC qui a publié la synthèse de son 6e rapport d’évaluation, rappelant l’inadéquation entre les financements dédiés à l’atténuation du changement climatique et ceux, dépassant ces derniers, dédiés aux énergies fossiles. Selon Ember, 2023 pourrait être l'année où les énergies renouvelables atteindront un point de basculement et où les émissions de gaz à effet de serre liées à la production d'électricité commenceront à diminuer, du fait d’une baisse de la production d’énergies fossiles [2]. Enfin, la saison en cours des assemblées générales démontre, tant aux États-Unis qu’en Europe, une hausse des dépôts de résolutions climatiques, dans le secteur énergétique [3] notamment.
S’agissant de la place financière de Paris, ses institutions poursuivent-elles le financement de la poursuite du développement des énergies fossiles ? La question est épineuse, par sa complexité technique et la nécessité d’une réflexion et d’une action différenciées selon le type de combustible, le stade de développement, et plus largement le contexte énergétique et macroéconomique. Le rôle de l'Observatoire de la finance durable est de contribuer à cette réflexion, à l'aide d'indicateurs de transparence et de la publication de données sur un site dédié [4][5].
La décarbonation du système énergétique occupe en effet une place cruciale dans la transition (AIE [6], GIEC [7]). L’effort pour atteindre l’objectif de neutralité carbone à horizon 2050 est conséquent, dans la mesure où les sources fossiles d'énergie restent majoritaires dans le mix actuel, de l’ordre de 80% à l’échelle globale. La transparence du financement des énergies fossiles demeure ainsi une condition sine qua non à l’alignement des flux de capitaux sur une trajectoire bas carbone. Le secteur financier doit non seulement diminuer son exposition à ces énergies mais également anticiper l’impact de la nécessaire sortie des actifs dans les secteurs du pétrole, du gaz, et du charbon [8].
Deux séries de recommandations
Dans ce contexte, les indicateurs présentés par l’Observatoire offrent une base qui permet d’avancer vers une telle transparence, grâce à une présentation des données financières, collectées par les principales fédérations professionnelles : la Fédération Bancaire Française (FBF), France Assureurs (FA), l’Association Française de la gestion financière (AFG), l’Association française des Sociétés Financières (ASF) et France Invest (FI). Ces données, suffisamment complétées, permettraient de comprendre l’évolution du soutien financier aux énergies fossiles par le secteur financier. Le Comité scientifique et d’expertise (CSE) a ainsi passé en revue les publications actuelles de l’Observatoire, afin de proposer des axes d’amélioration, tant sur l’organisation et la compréhension des indicateurs que sur leur degré de précision. De fait, il reste difficile de dresser un bilan de l’exposition actuelle des institutions financières aux énergies fossiles.
L’analyse du CSE a abouti sur deux séries de recommandations à l’attention des fédérations, sur le financement de l’industrie charbonnière et de l’industrie pétrogazière. Pour le charbon thermique, ces propositions viennent renforcer celles déjà publiées en février 2021 [9]. Une transparence irréprochable sur les financements effectués dans ce secteur constitue en effet une urgence absolue, dans un contexte de croissance de la production (à un niveau jamais atteint jusqu’alors) et de la consommation dans le monde en raison, notamment, de la crise énergétique issue de la guerre en Ukraine [10]. En outre, en vue de ne pas dépasser le seuil de température de 1,5°C, le secteur charbonnier doit voir la fermeture de l’ensemble des infrastructures (extraction des matières premières et centrale de production d'électricité à partir de charbon) à horizon 2030 dans l’Union Européenne et les pays membres de l’OCDE, et à horizon 2040 dans le reste du monde [11].
À ce titre, le CSE recommande la publication de données précises, lisibles, exhaustives et comparables, soulignant que toute ambition limitée sur le charbon témoignerait d’une ambition relative sur l’ensemble des enjeux complexes de la transition. Le CSE requiert ainsi davantage de précisions sur les politiques sectorielles adoptées par les institutions financières, les calendriers de sortie, les bases de données utilisées et les périmètres concernés. De plus, il est demandé d’apporter des précisions substantielles sur l’exposition des acteurs au secteur charbonnier, en faisant preuve d’exhaustivité et en mettant cette exposition en relation avec le bilan global. Enfin, il est recommandé de renforcer la transparence sur les leviers et modalités d’action des institutions financières en vue d’un désinvestissement effectif, par exemple via l’adoption de politiques effectives d’engagement et d’exclusion, ainsi que la mise en œuvre de seuils ambitieux (tant absolus que relatifs).
Publier des informations exhaustives sur l’industrie pétrogazière
S’agissant du financement de l’industrie pétrogazière, le CSE a souhaité réviser et étendre ses propositions de septembre 2021, qui s’étaient alors concentrées sur les énergies non-conventionnelles et avaient ainsi contribué à jeter la lumière sur les impératifs de financement de la transition de cette industrie. L’arrêt du financement de nouvelles capacités de production de pétrole et gaz (AIE, 2021[12] et 2022[13]) dans l’ensemble du secteur est en effet un impératif fixé par l’AIE dans son scénario net-zéro à horizon 2050. Or, les évolutions de la politique énergétique mondiale ont renforcé des tendances en hausse de financement de l’industrie (tant par la dette que l’investissement). Tandis que la période 2021-22, marquée par des prix élevés du pétrole et du gaz, n'a pas entraîné d'augmentation significative des dépenses d'investissement des entreprises pétrogazières privées, malgré des bénéfices records, les sociétés d'exploration et de production ont fait preuve d’exception. Leurs dépenses d'investissement en 2022 ont été les plus élevées depuis 2014 [14]. Un tel constat mène à interroger les conséquences de telles décisions de financement sur la stabilité financière, en raison de risques accrus de verrouillage du carbone et de risques de transition (actifs dits “échoués” que constituent les infrastructures fossiles dans une transition bas-carbone), ainsi que de progression des risques issus du changement climatique et de la dégradation des écosystèmes.
Aussi, le CSE recommande la publication de données financières plus exhaustives, pertinentes et harmonisées sur l’exposition au secteur pétrogazier, afin d’avoir une vision claire et globale sur l’ensemble des métiers des institutions et sur l’ensemble du périmètre du secteur. Il est également recommandé d’inclure des indicateurs dédiés à l’exposition sur les projets controversés (nouveaux projets et non-conventionnels). De plus, il est clef d’afficher des informations sur les trajectoires de décarbonation des acteurs, tout le long de la chaîne de valeur et dans une approche d’accompagnement effectif de la transition. Afin d’être complet, ces indicateurs sur les plans de décarbonation sont demandés tant pour les contreparties de l’industrie pétrogazière que pour les institutions financières. C’est le cas notamment sur la mise en place de solutions rentables et à l’échelle pour la réduction des émissions de GES issues des opérations de l’industrie pétrogazière[15] (à l’instar des émissions de méthane, de l’élimination des torchères non urgentes, d’équipement des procédés pétroliers et gaziers de technologies de captage, d'utilisation et de stockage du carbone, et d'extension du recours à l'hydrogène issu de l'électrolyse dans les raffineries).
La publication de telles informations, substantiellement améliorées par rapport à l’existant sur l’Observatoire, doivent permettre de suivre l’évolution de l’exposition globale des acteurs de la Place aux énergies fossiles, enjeu incontournable dans une perspective d’alignement sur une trajectoire bas-carbone [16]. Ces recommandations sont par ailleurs cohérentes avec celles exprimées dans le rapport conjoint publié par l’ACPR et l’AMF en octobre 2022 [17] et peuvent majoritairement entrer en application dès 2023. Bien qu’il s’agisse essentiellement d’un exercice de transparence, et non d’une obligation d’alignement effectif, l’Observatoire, accompagné par son Comité scientifique et d’expertise, participe à une responsabilisation de l’ensemble des acteurs de la Place quant à la condition sine qua non de la transition : celle d’un accompagnement robuste, mesurable, et effectif de la transition du secteur énergétique.■
Par Anna Creti, Charlotte Gardes, Guillaume Neveux et Lucie Pinson, membres du Comité scientifique et d'expertise de l'Observatoire de la Finance Durable
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[1] Call from 37 global NGOs for financial institutions to commit to not provide any financial support to South Texas fracked gas export projects, mars 2023
[2] Ember,Global Electricity Review 2023, Avril 2023
[3] S&P Global Market Intelligence, Climate change, emissions plans dominate 2023 proxy season, Mars 2023
[4] Site internet de l’Observatoire de la finance durable
[5] Revue Banque, Énergies fossiles : où en est la Place de Paris ?, Avril 2023
[6] AIE, Net Zero by 2050, mai 2021
[7] GIEC, Rapport spécial 1,5 degrés 2018, chapitre "atténuation" du 6e rapport d'évaluation 2021-2022, 2021
[8] Dan Welsby, James Price, Steve Pye & Paul Ekins, Unextractable fossil fuels in a 1.5 °C world, Nature, Septembre 2021
[9] Rapport de recommandations publié 25 février 2021, à retrouver en ligne
[10] AIE, Executive Summary : Global coal demand is set to rise in 2022 amid the upheaval of the energy crisis, page internet “Coal 2022”
[11] AIE, Coal in Net Zero Transition, novembre 2022
[12] AIE, A Roadmap for the Global Energy Sector, mai 2021
[13] AIE, World Energy Outlook, octobre 2022 World Energy Outlook 2022 – Analysis - IEA (pages 78 à 81 sur les implications de la guerre en Ukraine sur l’investissement pétrogazier dans le scénario net-zéro de l’AIE).
[14] CGEP, Investing in Oil and Gas Transition Assets En Route to Net Zero, Mars 2023
[15] AIE, Emissions from Oil and Gas Operations in Net Zero Transitions, Mai 2023
[16] L’Opinion, Transition écologique bien sous tous rapports cherche gros moyens financiers, Avril 2023
[17] ACPR, Troisième rapport commun ACPR/AMF : Suivi et évaluation des engagements climatiques des acteurs de la Place, octobre 2022
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